Le meilleur de la famille (1)
Datte: 17/12/2019,
Catégories:
Erotique,
Auteur: Orchidée, Source: Xstory
Mardi 4 juillet 1972
Encore une heure à attendre, à contempler sans la voir, vraiment l’agitation autour de moi. Abstraction faite du cadre habituel aménagé selon les codes en vigueur à la SNCF, la grande salle d’attente ressemblait à un cœur géant au bord de l’infarctus avec le va-et-vient compulsif des voyageurs anonymes comparable au flux sanguin alimentant la gare d’Austerlitz ; je me faisais l’effet d’un globule rouge oxygéné, impatient d’être injecté dans la multitude.
Par instant, une relative maîtrise des émotions faisait remonter des bribes décousues de souvenirs à la surface. Les disputes quotidiennes, le départ d’un père incapable de se contenter d’une seule femme, ma mère suspendue au cou du premier venu à peine la séparation actée, le divorce prononcé deux ans plus tard, le harcèlement d’un beau-frère obsédé à l’idée de faire de moi une esclave sexuelle obéissante, qu’est-ce qui avait pu foirer à ce point dans mon existence ?
Les bons moments prenaient moins de place, même mon 18e anniversaire en mai était passé inaperçu, une journée ordinaire chez les Levalle ; le nouveau mari de ma mère détestait ce genre d’évènement trop commercial à son goût. Je n’avais plus rien à attendre d’une famille recomposée en dépit du bon sens dans un pavillon de la proche banlieue où les cadres faisaient semblant d’adopter un mode de vie en accord avec des principes moraux dont ils étaient totalement dépourvus.
Depuis l’arrivée du nouvel homme fort, on m’avait ...
... dépossédée de mes droits ; adieu la possibilité de choisir mes amis, mes vêtements. D’après le beau-père rétrograde, les études n’étaient pas l’affaire des femmes, le gouvernement aurait dû leur retirer le droit de vote. Quant au fils né d’un premier mariage, ce dégénéré passait ses nuits à gratter à la porte de ma chambre. Maman restait effacée dans ce contexte sordide, soulagée de s’en remettre à un homme capable de prendre les décisions.
Enseveli depuis des années sous les lettres de supplique, papa avait enfin accepté de prendre ses responsabilités. Échanger les sautes d’humeur d’un beau-père intransigeant contre les éventuels coups de griffes d’une belle-mère pouvait paraître audacieux ; le risque paraissait raisonnable dans la conjoncture actuelle. Sinon, le dépaysement me servirait de lot de consolation, la Méditerranée nourrirait mon imaginaire d’un sentiment de liberté inconcevable ici. Maman devrait désormais supporter seule les conséquences de ses actes.
Mercredi 5 juillet 1972
La valise entre les jambes, je m’installai sur un banc de bois repeint une énième fois, sans doute au début de chaque saison estivale, afin de laisser l’illusion du neuf dans les esprits malléables. D’après les nombreuses démonstrations jubilatoires sur l’esplanade de la gare, Agde faisait le bonheur des touristes mordus de nature libre. Le slogan haut en couleur placardé devant la station des taxis paraissait présomptueux dans un décor bétonné, peut-être se révélait-il exact près de la ...