Vingt et un ans après (2) - Histoires de Sexe

Vingt et un ans après (2)

Je klaxonnai encore.

— Tu vas voir que nous nous serons tapé deux cents bornes pour échouer à l’hôtel du coin, grogna Fran toujours assise dans la voiture.

Au fil des kilomètres, l’humeur de ma chère secrétaire s’était peu à peu assombrie. J’ai l’habitude... Au début d’une enquête, Fran passe toujours par ce qu’elle appelle sa « phase de concentration ».

Les premiers symptômes s’étaient manifestés peu après Orléans quand j’avais quitté l’autoroute pour engager la voiture sur le réseau routier secondaire. Dès ce moment, Fran avait cessé d’entretenir la conversation, de répondre à mes remarques et mes questions, n’avait plus daigné sourire à mes blagues. Ma main droite avait donc sagement repris place sur le volant et je m’étais limité pour la fin de ce court voyage à ne jeter à Fran, appuyée contre sa portière, que de brefs coups d’œil, la laissant à ses réflexions.

Ni sa position ni son attitude distante n’avaient changé quand, parvenus à notre destination, j’avais arrêté la voiture dans une vaste cour sablée où débouchaient cinq cents mètres de voie privée tracée dans les bois.

— Il n’y a personne dans cette baraque !

L’expression de Fran était parfaitement inadaptée. En fait de baraque, il s’agissait d’une ancienne ferme transformée en habitation luxueuse. Si quelques-unes des poutres et des briques caractéristiques des constructions solognotes subsistaient encore, de larges baies vitrées en avaient remplacé la plupart. Elles m’avaient permis de découvrir ...

... une partie de l’aménagement intérieur, un salon immense et son piano à queue, un lit à baldaquin dans une chambre, une cuisine rutilante en allant sonner à la double porte d’entrée sans obtenir de réponse.

— Klaxonne ! avait exigé Fran alors que je revenais à la voiture.

— Fabienne a peut-être oublié que nous venions.

— Elle devrait être là ! Klaxonne !

J’hésitai, attendis quelques instants puis m’exécutai avant que Fran n’insiste encore.

Au troisième coup de klaxon, une porte s’ouvrit sur la façade d’un bâtiment construit de l’autre côté de la cour. Un personnage vêtu d’une cotte agricole verte apparut. Un masque de soudeur remonté sur le front dissimulait la plus grande partie du visage. Impossible d’en distinguer les traits.

— C’est quoi ce cirque ? grommela Fran.

— Je ne sais pas. C’est curieux comme accueil.

— Ça me fout les jetons !

Je n’eus pas le temps de répondre. Fabienne enleva son masque et nous lança.

— Je ne pensais pas que vous arriveriez si tôt. Je suis désolée de vous accueillir ainsi, mais j’aimerais terminer ce que j’ai en cours. Venez !

— Qu’est-ce qu’elle fout déguisée ainsi ? me demanda Fran à voix basse.

Je fis un geste qui se voulait à la fois évasif et rassurant.

— Aucune idée, repris-je. Fabienne nous l’expliquera sûrement. Descends !

Fran abandonna la voiture comme à regret et me suivit. Fabienne fit quelques pas dans notre direction.

— Salut ! fis-je.

L’instant de gêne que je redoutais n’eut pas lieu. ...