1. Si tu veux, tu sais où me trouver


    Datte: 26/10/2019, Catégories: fh, nonéro, mélo, amourdram, regrets, Auteur: Vince et Lise-Elise, Source: Revebebe

    ... irrésistible sur les billes qui s’effaçaient l’une après l’autre, pour laisser la table de plus en plus verte, alors qu’il se sentait de plus en plus nu. La sept, de l’autre côté. La bille blanche revint en position idéale pour attaquer sa proie suivante. Jérémy tentait de chasser sa peur en traquant ces billes asservies, en se cachant derrière sa queue. C’était pas la première fois.
    
    L’odeur du cuir de sa veste le submergea de souvenirs. Il revit Stéphanie, elle avait dix-neuf ans. Sur sa manche, quelques taches un peu plus foncées témoignaient de cette soirée. La neuf, par rebond. La bille blanche s’appuya sur la huit, la déséquilibra, mais ne la projeta pas dans ce trou qui aurait signifié la fin de sa partie. Plus que quelques billes avant la fin de ce jeu auquel il ne gagnerait rien.
    
    De tous les bruits environnants, Jérémy perçut celui qu’il attendait : la porte venait de s’ouvrir. Le visage tourné vers la table, il se sentit envahi d’une boule au ventre qui se mit à le torturer sans merci. Il sentait la présence de Stéphanie, il l’aurait juré, ce ne pouvait qu’être elle. Jamais il n’avait ressenti une telle emprise, une telle énergie qui venait à sa rencontre. Il se sentit si petit qu’il eut envie de disparaître comme une bille, attendant d’être entrechoqué à son tour dans la valse des reproches avec laquelle Stéphanie avait le pouvoir de casser son univers. Il tira, fort, d’un geste assuré, et expédia la dix où il l’avait décidé. Il était encore maître du jeu ...
    ... jusque-là, mais c’était terminé. Car elle était là, interdite et muette, statue de son passé dans son cœur au présent. Elle venait de déposer ses affaires sur la banquette, tout près de Jérémy.
    
    Lentement, il releva la tête, pour laisser ses yeux rencontrer ceux de Stéphanie. Autour d’eux, les voix inutiles et stériles laissèrent place à un brouhaha de plus en plus léger. Stéphanie parlait mieux qu’avec des mots : en un seul regard, il reçut la confirmation de ce qu’elle lui avait écrit. Il tenta de lui répondre, ne sut pas s’il avait réussi. L’assurance de Stéph paraissait relative, tant l’émotion se dessinait au bord de ses yeux, en deux larmes trop timides pour se libérer vraiment, mais soulignant son regard d’une note presque tragique qui eut raison des dernières barrières de Jérémy.
    
    Pourquoi ne lui sauta-t-elle pas dans les bras ? Parce qu’elle n’y aspirait peut-être pas, parce qu’il n’osait pas bouger. Parce que les yeux de Jérémy faisaient fi de son visage. Parce qu’il la regardait enfin comme elle l’avait tant espéré. Parce que dans cet échange transparaissait enfin le poids de ce qu’elle portait. Il ne le niait pas. Il ne le niait plus.
    
    Jérémy redécouvrit cette cicatrice qui traversait le visage de la belle Stéphanie. Il lui sembla qu’elle avait toujours été là, ou qu’il ne la voyait pas. Il ne ressentit pas une once de dégoût devant cette rivière un peu sombre qui barrait son visage, taillée ainsi par le verre du pare-brise. Il revit des phares en face, les ...