1. Les ombres de Jeen


    Datte: 19/10/2019, Catégories: nonéro, fantastiq, Auteur: Lilas, Source: Revebebe

    ... vent, et je ne voyais queça, que ces ombres. Ces ombres qui avançaient lentement vers moi.
    
    Je ne sais pas pourquoi, je n’ai pas bougé. Je suis restée au même endroit, je les ai regardées venir à moi. Elles ondulaient sous les voitures, longeaient les places de parking, se perdaient parfois dans la nuit, puis revenaient, plus denses, plus menaçantes. J’étais comme fascinée.
    
    Quand j’ai senti le froid mortel qui s’en dégageait, j’ai enfin compris ce qui m’attendait si je ne m’enfuyais pas. Alors je me suis sauvée. J’ai fait mes bagages. Et j’ai quitté ce pays si vite qu’il y a eu de la poussière derrière moi.
    
    Sébastien la regardait, ses yeux attentifs fixés dans les siens.
    
    – Vous n’avez jamais revu vos parents ? demanda-t-il enfin.
    
    – Jamais.
    
    – Et que diable voyiez-vous pour qu’ils vous internent ?
    
    – Ce que je viens de vous décrire. Les ombres. Vous, les humainsnormaux, vous ne savez rien de ce que je vois. Vous pensez connaître votre ombre, n’est-ce pas ? Vous n’avez jamais eu peur d’elle ! Évidemment, c’est vous, c’est votre forme. C’est quelque chose auquel personne ne pense jamais. Mais qu’est-ce que c’est, une ombre ? Une silhouette projetée sur le paysage environnant, par le soleil ou une source de lumière ; enfin, c’est ce que vous vous dites, hein ? Je l’ai cru moi aussi. Jusqu’à ce que je voie ces ombres prendre une forme que nul n’avait dans les lieux où j’étais. J’avais environ cinq ans. Personne ne m’a crue. On a dit que j’avais une imagination ...
    ... fertile. Au début, j’ai refusé de comprendre. Mais ce n’était pas mon imagination.
    
    À l’asile, c’était pire. Elles étaient toujours là. J’ai longtemps été persuadée que c’était la mort qui venait me chercher, parce que j’avais fait quelque chose de mal. Parce que j’avais laissé mon oncle me toucher quand j’étais petite fille. Alors je pensais qu’on allait me punir. Puis je me suis demandé pourquoi personne n’avait peur de son ombre.
    
    Elle imite tout ce que nous faisons, puisque c’est notre reflet. Et il y a une explication physique, logique, rationnelle, à ce phénomène.
    
    Mais, demandez-vous : et si notre ombre était la part cachée du mal qui sommeille en nous ? Comme un reflet dédoublé, nous, faits de chairs et d’os, êtres moraux vivant en société, et elles, ces ombres sans corps, ces formes sans matière qui glissent sous nos pieds, démons envoyés par le malin pour nous épier, nous obliger à commettre les pires actions.
    
    Si elles n’étaient pas là, peut-être que le mal n’existerait pas.
    
    – Mais enfin, c’est du pur délire ce que vous me chantez là ! s’exclama Sébastien. On se croirait dans un film fantastique ! C’est même carrément de la science-fiction !
    
    Jeen eut un sourire ironique.
    
    – Et quelle est la limite entre lanormalité et lafiction, monsieur ? interrogea-t-elle d’une voix plus dure. Entre la réalité et les chimères ? Où se trouve la norme, à votre avis ? Parce que personne ne croit à son jumeau diabolique, soumis à nos pieds jusqu’à ce qu’il se dresse et ...
«12...101112...»