1. Les ombres de Jeen


    Datte: 19/10/2019, Catégories: nonéro, fantastiq, Auteur: Lilas, Source: Revebebe

    ... presque désabusée. Je voudrais vous raconter une histoire, Sébastien. Asseyez-vous. Il y a une chaise derrière vous.
    
    Il hésita, puis obtempéra, sans cesser de la fixer. Ses yeux s’étaient voilés, comme si elle plongeait dans ses souvenirs. Et c’était probablement le cas.
    
    — J’ai aujourd’hui 24 ans, reprit-elle d’une voix un peu rauque. J’ai passé cinq ans dans un asile. Cinq longues années. Savez-vous ce qu’on ressent dans un tel endroit, monsieur ? Non, vous ne savez pas. Personne ne le sait. Sauf moi et ceux qui y sont enfermés. Un jour, j’ai tenté ma chance, et j’ai réussi à m’enfuir, avec la complicité de ma grand-mère. Puis j’ai voyagé. Beaucoup. Je ne
    
    vous raconterai pas ma vie, vous savez, je n’en ai pas envie. Elle est d’une tristesse et d’un ennui infinis.
    
    Mais il y a une chose qui m’a marquée. C’était au Portugal, dans la ville de B***. Je travaillais à l’époque dans un restaurant en tant que serveuse. C’était une soirée ordinaire, enfin, si on peut dire ça. Il y avait deux jeunes filles en terrasse, l’une blonde et l’autre brune. Elles étaient françaises. On a discuté un peu, elles s’entendaient très bien. On les entendait rire tout le temps. Et puis… j’ai commencé à me sentir nerveuse. Très nerveuse. J’avais l’impression qu’il y avait quelque chose d’anormal qui rôdait autour de moi. C’était dehors, quand je sortais pour servir les clients. Et puis j’ai compris. De l’autre côté de la rue, il y avait des maisons. L’une d’elles a attiré mon attention. ...
    ... Les persiennes étaient closes. La façade était éclairée par les lampadaires.
    
    Aucune lumière ne filtrait à l’intérieur. Et pourtant, je sais qu’il y avait quelqu’un derrière les volets. Et ce quelqu’un m’observait servir. Et puis les deux filles ont fini leurs desserts, ont réglé, et sont parties. Je continuais mon travail, comme s’il ne se passait rien, alors que je me sentais observée. Puis plus rien.
    
    C’est à ce moment là que j’ai compris. Il n’y avait plus de présence derrière les volets, je le savais, je lesentais. Même à cette distance, je savais que la chose était partie. C’étaient les filles. C’étaient les filles qu’elle avait guettées toute la soirée. J’ai abandonné mon service, et j’ai couru à en perdre haleine dans les rues obscures. Je les entendais rire. Jamais je ne les ai rattrapées.
    
    En arrivant sur un parking qui n’était pas éclairé, j’ai su, au plus profond de mon être, qu’il se passait quelque chose. Il y a eu un écho, comme le son d’un rire qui s’éteint au loin. Et puis plus rien. J’entends encore ce rire, dans mes cauchemars. Il me poursuit. Je suis restée là, haletante, à regarder partout, j’étais paniquée. Et puis je les ai vues. Les ombres. Sur les toits des voitures, brillant à la lumière des lampadaires. Il y avait beaucoup de vent, alors ça aurait pu être les ombres des arbres.
    
    Mais ce n’était pas ça. La lueur de la ville projetait d’immenses plaques sombres dans le parking, il était entouré de grands châtaigniers, qui bougeaient au rythme du ...
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