1. L'exécution


    Datte: 24/09/2019, Catégories: nonéro, portrait, historique, Auteur: Pierre Siorac, Source: Revebebe

    ... vous l’avez fait remarquer, tant de coïncidences, c’est impossible. Si nous avions affaire à des personnages encore vivants, ce serait simple : on les interrogerait, on les ferait avouer, et on pourrait établir la vérité. Mais ce n’est pas le cas. Nous arrivons trente ans après, après les historiens, les politiciens, et surtout les francs-maçons. Si tous se sont donnés tant de mal pour construire une histoire officielle de la mort de Michel Ney, croyez-moi, ce n’est pas un petit détective comme moi qui va pouvoir renverser la table. Il me faut une preuve irréfutable. Il me faut LA preuve ! Et alors, tous ces faits, toutes ces coïncidences ne feront que la renforcer. À défaut, nous n’avons rien, et nous risquons juste de nous faire écharper et de mettre notre réputation en péril.
    — Monsieur Pinkerton, il y a une chose que je ne m’explique pas. Ce sang de porc, d’où proviendrait-il ?
    — Oh, une vieille ruse… Une poche de sang cachée sous la veste. Et lorsque Ney commande au peloton de viser droit au cœur en se frappant violemment la poitrine, il la crève, tout simplement. Ce qui explique qu’il n’ait pas voulu mettre son uniforme pour l’exécution, afin de ne pas le souiller.
    — Mais comment se serait-il procuré cela ?
    — Qui sait… Le curé qui l’a accompagné ? Ou alors, elle l’attendait dans la voiture ; les « Frères » étaient partout.
    — Oui… Et on ne lui a ni bandé les yeux, ni attaché les mains…
    — Oui, Peggy. Tout le monde est d’accord là-dessus ; et on n’a jamais vu cela. ...
    ... Mais encore une fois, ce n’est pas une preuve indiscutable.
    — Mais enfin… il faudrait être aveugle et sourd.
    — Il n’y a pas plus sourd que celui qui ne veut pas entendre, Peggy. Et croyez-moi, ces têtes de lard de Français ne voudront rien entendre. Prétendre que Ney est enterré aux États-Unis d’Amérique, ce serait aussi grave que de prétendre que le corps de Napoléon serait toujours en Angleterre ; ce peuple est très chatouilleux lorsque l’on touche à ses symboles.
    — Et pourtant, on est dans le cas typique du héros pour qui l’histoire se termine bien.
    — Vous oubliez leur goût du romantisme et de la tragédie. Ils aiment tellement que leurs héros meurent à la fin : Vercingétorix, Jeanne d’Arc, Napoléon… Tous leurs symboles sont des vaincus. Ce peuple ne conçoit la gloire que dans la défaite. Pour eux, Waterloo est une plus grande victoire qu’Austerlitz.
    
    La nuit commençait à tomber et il restait encore une chemise entière à relire. Celle qui relatait la vie de Peter Stuart Ney aux États-Unis d’Amérique. Allan Pinkerton alla se faire du café, bien décidé à en terminer avant le petit jour.
    
    — Souhaitez-vous que je reste avec vous, Monsieur Pinkerton ?
    — Non, Peggy ; vous pouvez rentrer chez vous : j’en ai encore pour pas mal de temps. Et je veux trouver LA preuve. Vous savez comme je vais être invivable, bientôt… À demain.
    — À demain, Monsieur Pinkerton.
    
    * En 1903, un fossoyeur du nom de Dumesnil – qui n’était pas au courant de cette histoire – fut chargé de déterrer ...