La mort de Sardanapale
Datte: 09/09/2019,
Catégories:
fh,
cérébral,
pénétratio,
Auteur: Laure Topigne, Source: Revebebe
Remarques préliminaires :
• Avant que le lecteur ne s’attelle à ce texte, je l’invite à accorder quelques minutes à la contemplation de l’un des chefs-d’œuvre de Delacroix, « La mort de Sardanapale », à en voir ou revoir l’ensemble et les détails :
(https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Mort_de_Sardanapale#/media/File:Eug%C3%A8ne_Delacroix_-_La_Mort_de_Sardanapale.jpg).
Ainsi ne perdra-t-il pas totalement son temps.• Dans la suite, des mots comme odalisque, janissaire et cimeterre sont autant d’anachronismes. Ils feront inévitablement penser à ces scènes antiques que les classiques n’hésitaient pas à peindre dans des décors et des costumes de leur temps, faute de connaître ceux de l’époque. Jusqu’à quel point Delacroix s’inquiétait-il de cela ?• Les deux parties qu’entrecroise cette histoire se déroulent, l’une en février 1971, l’autre aux alentours de 650 av J-C.
La fête qui célébrait la fin des premiers partiels et les huit jours de vacances qui les suivraient avait embrasé la colocation qu’elles partageaient à trois toute la soirée d’hier. On avait bu, mangé, fumé et dragué sans excès chez ces sages étudiantes qui entamaient studieusement leur cursus universitaire.
Laure, ainsi qu’à l’accoutumée, s’était tenue un peu en retrait. Sa circonspection et sa discrétion naturelles l’empêchent en effet de se montrer exubérante lors de ces tonitruantes agapes où l’on refait le monde à grands coups de gueule. Ce fut néanmoins avec un léger pincement de cœur qu’elle ...
... constata, à l’issue de ce joyeux divertissement, qu’il n’y avait qu’elle à ne pas avoir échangé le plus chaste baiser, à ne pas s’être livrée au moindre flirt. Tous ses camarades l’apprécient pourtant, l’estiment gentille, mignonne et avenante, juste peut-être un brin trop sérieuse et réservée.
Depuis ce midi, elle erre seule, en proie à une confuse indisposition, dans l’appartement déserté, même par ses colocataires. Elle qui est restée ici en vue de travailler ne parvient que très modérément à fixer son attention sur ces équations qui se regimbent et dont l’x cultive l’anonymat. Cherchant l’article consacré à Pierre Deligne dans son dictionnaire, la grande reproduction, sur la page contiguë, présentant « La mort de Sardanapale » de Delacroix la happe. Elle plonge dans cet Orient baroque qui la fascine en affrontant le rouge et le noir. Elle n’y voit pas plus de tragédie que de carnage, moins encore une diatribe de l’artiste dénonçant la domination des hommes sur les femmes dans la société bourgeoise névrotique de son époque. Elle rôde, ombre furtive et épouvantée au cœur de ce gigantesque autodafé des passions, se gavant d’odeurs et de couleurs, endossant successivement les rôles des protagonistes. Après une interminable rêverie, elle claque le dico. Ces songes l’ont un instant distraite et rassérénée autant que déconcertée. Elle regagne son bureau et ses chères équations, hélas, celles-ci restent irréductiblement rétives. Un vague malaise l’oppresse, nébuleux et indéfinissable ...