1. Le Donjon (1)


    Datte: 26/08/2019, Catégories: Divers, Auteur: Jieff, Source: Xstory

    - 1 La visite
    
    En plein mois d’août la vieille pierre lisse est glaciale contre ma joue. Je me colle au mur. Par la fente étroite d’une meurtrière, je la vois hésiter longuement face à la porte du donjon. Aucun doute, ce ne peut être qu’elle, tout en bas dans l’ombre.
    
    A l’entrée du château on a déchiré son ticket. Soulagé, je m’éclaircis la gorge et respire un grand coup. J’ai marqué le premier point. Viendra ? viendra pas ? Elle est venue. J’avoue avoir douté longtemps.
    
    Grâce à la rivière qui coulait proche, les gardiens, des garçons musclés et bronzés en slip de bain, serviette autour du cou, dégouttaient d’humeur et d’esprit de vacances. Je la vois échanger quelques mots, rire peut être. Tout cela devrait l’inspirer.
    
    Au pieds de la tour, elle marque un temps d’arrêt. Vue depuis la cour, la hauteur de cette colonne de pierre l’impressionne. La porte étroite et l’escalier sombre lui donnent sans doute des frissons d’angoisse. Tête levée, hésitante elle hausse les épaules. Je crois deviner un sourire.
    
    Il est déjà tard dans la saison et il n’y a aujourd’hui en visite qu’un petit groupe d’asiatiques du troisième âge, l’âge de la non-aventure. Fatigués et stressés sous leurs ombrelles, à petits pas timides, ils rejoignent leur car. Je la vois rire franchement. Elle a compris qu’il s’agissait d’une visite de quinze pays en quinze jours. Ces pseudo voyages qui esquintent la vieillesse.
    
    Courageuse et seule, elle entame l’ascension. Je la perds de vue et il n’y a ...
    ... personne à la suivre dans la montée. Je sais que dès les premières marches une ambiance angoissante sourde des quelques meurtrières avares de lumière, que sa mini robe est légère et qu’il fait frais, là dessous dans ces vieilles pierres. Je l’imagine frissonnante.
    
    Je connais des bribes de son imaginaire, je la crois friande de violence et de films d’horreur, elle doit se lécher les lèvres et se sentir un peu chez elle dans cet univers adoré en cachette. C’est bien pour cela que je suis là, doit-elle penser : Ce château, cette tour, les chaînes rouillées, les boulets de fonte, les ferrures bizarres, les traces de tout un monde. Le moyen-âge ! Quelque part, tout près, on y fouettait, on y torturait peut-être… mmmm… Des fantômes ?
    
    A bout de souffle, elle pense être enfin arrivée au sommet en passant devant des portes au bois sombre, patiné par l’âge. Sur l’une " Salle de garde ", plaque de cuivre gravée de lettres gothiques. Sur l’autre "Bureau - Interdit au public ". Enfin ! Je dois être sous la terrasse pense-t’elle. Curieuse, elle essaye la poignée de la première porte - Fermée - hausse vaguement les épaules et se résigne. Tant pis !
    
    J’entrouvre la porte, ma main jaillit en silence et lui saisit le poignet. Sans un mot, d’un geste, je la tire à l’intérieur. Une poupée désarticulée accompagnée des froissements de tissu et de piétinements me tombe dans les bras. Le panneau de chène claque. Trop essoufflée par l’ascension, ses poumons vides l’empêchent de crier, d’une ...
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