1. Quand la vie s'arrête


    Datte: 28/06/2025, Catégories: ascendant, contrainte, nonéro, articles, Auteur: Loaou, Source: Revebebe

    ... donner son identité, quoi qu’il arrive. Il lui en faut une autre, qu’elle invente tout en marchant vers la gare.
    
    * * *
    
    Fleur sort de la gare de Valence après deux heures et demie de train. Elle marche sur les trottoirs vers le quartier de son amie, mais plus elle en approche, plus elle hésite. Ses doutes balayent les arguments qu’elle avait soigneusement préparés tout au long du voyage, ses peurs ressurgissent : les parents de son amie vont poser des questions… Vont-ils la croire ? Vont-ils la cacher sans rien dire ? C’est peu probable.
    
    Elle a trop peur d’être renvoyée chez ses… sesparents qu’elle refuse de nommer plus longtemps ainsi. Chez ses agresseurs. Mais où aller ?
    
    Elle a des amies à Valence parce qu’elle y habitait, il y a deux ans. Sa grand-mère aussi : ils vivaient avec elle ; ses parents ne buvaient pas, ils étaient heureux, tous ensemble. Fleur n’a pu retenir des larmes à ces souvenirs. Mais elle a éliminé l’idée de rejoindre sa grand-mère : elle risque trop de cafarder à sa mère. Ils vont venir la chercher.
    
    Dans le train, elle a compté discrètement sa fortune, cent deux euros, après le règlement des vingt-huit du billet de train. Pas de quoi tenir longtemps ! Pas de quoi loger à l’hôtel ! De toute façon, quel hôtel accepterait une adolescente de quatorze ans seule ? Il lui faut être plus âgée. Elle décide de se donner seize ans, un âge avec lequel elle pourrait travailler. Elle prétendra avoir perdu ses papiers. Voilà : elle s’est fait voler, ...
    ... dans le train.
    
    Devant l’immeuble de son amie, elle n’arrive pas à se résoudre à sonner. Le bouton est là, sous ses yeux, devant son doigt levé. Le nom flotte, se brouille dans ses larmes.
    
    Une pensée insidieuse noie sa résolution : est-ce que le père qui était si affectueux ne serait pas, lui aussi, un prédateur ? Personne ne saura qu’elle est là, il pourrait lui faire tout ce qu’il veut. Non. Elle ne peut pas. Elle ne les connaît pas, elle ne peut pas leur faire confiance.
    
    Elle ira chez sa grand-mère.
    
    Alors qu’elle quitte le quartier en tirant sa valise, un homme s’avance vers elle. Il est grand et costaud, il la regarde bizarrement. Elle sent la peur germer dans son ventre. Son cœur s’emballe. Est-ce qu’il veut la capturer, lui aussi ? Elle s’apprête à hurler, mais il n’y a personne alentour. Fuir ? Où ? Elle ne peut pas courir avec sa valise ni l’abandonner : c’est tout ce qu’elle a.
    
    Il la frôle, poursuit son chemin sur le trottoir dans son dos. Elle continue, les jambes tremblantes, sans oser se retourner pour s’assurer qu’il ne va pas l’attraper par-derrière, comme le faisait son père. Mais, seul, le bruit des roues de la valise la suit.
    
    Sa terreur se dissout lentement. Jusqu’au prochain inconnu qui posera son regard sur elle. Jusqu’au prochain contact sur son bras, sur son épaule, sur son corps ; elle sait qu’elle ne pourra pas en supporter avant longtemps : la simple idée la fait frissonner d’horreur.
    
    Elle se hâte vers chez sa grand-mère, au plus ...