1. Paysanne


    Datte: 14/04/2025, Catégories: amour, poésie, nostalgie, Auteur: calpurnia, Source: Revebebe

    ... choisis parfois d’accueillir au hasard des regards qui se croisent, se questionnent et s’étonnent mutuellement. Alors tu étreins sans complexes, entre tes bras d’albâtre, l’ouvrier pakistanais d’un chantier, dans son Algéco. Dans un Paris indifférent, il s’est émerveillé de l’émergence d’un corps céleste, léger d’artifices, lourd de sa force presque virile, apte à soulever un ballot de foin dans chaque main pour les jeter aux bêtes. J’aime tant ces muscles finement dessinés à tes épaules ! Un corps pourtant tellement féminin que les fées saphiques des matins doux du solstice d’été viennent avec tendresse bécoter tes pieds nus sur l’herbe humide, orteil après orteil, lorsqu’au premier azur de l’aurore, tu descends dans le jardin avec une tasse de thé, à l’abri des regards, dans le plus simple appareil, comme au premier jour du monde. Ensuite, inspirée par la fontaine s’écoulant d’un Éros de pierre – au goût un peu douteux, entre nous –, tu lèves les bras vers le ciel, écartes les jambes et ouvres les vannes afin d’arroser tes fleurs préférées…
    — Tu inventes ! Je ne me rappelle pas avoir fait cela.
    — Qu’importe. Tu aurais pu le faire. Cela te correspondrait tout à fait. D’ailleurs, il n’est pas trop tard. Tu dors si peu. Demain, si tu veux, puisque tes parents sont partis en week-end avec ta petite sœur. Je préparerai ton thé, et je te regarderai seulement par la fenêtre, pour que tu sois tranquille. Tu pourras aussi t’asseoir sur la balançoire et goûter du vent ...
    ... s’engouffrant entre tes jambes au lever au soleil. Je contemplerai ta chevelure se déployer dans le vent.
    — Pourquoi pas, si je suis réveillée avant l’aube ! Tu as toujours des idées coquines. Ne prétends pas que tu ne regarderas que mes cheveux ! Mon père a taillé la haie qui n’est plus aussi haute qu’avant : tant pis si les voisins me voient, après tout. Ils raconteront ce qu’ils voudront. On dirait que tu me peins, comme si j’étais ton modèle, mais avec des mots. Poursuis.
    — Effectivement, tu me fais penser aux naïades de Klimt. Il faudrait te couvrir d’or et de fleurs. Non, ne prends pas la pose d’une odalisque : reste naturelle, je ne suis pas Ingres ni Boucher.
    
    J’avais la gorge sèche, comme après avoir trop pleuré, alors j’ai bu un grand verre d’eau avant de continuer :
    
    — Un corps aux lèvres fines, salées jusqu’à la brûlure, aux baisers langue contre langue sans demi-mesure, à en perdre à la fois le souffle et la notion du temps. Une peau d’où émane, d’une manière naturelle, un parfum de sueur âcre mille fois plus intense que celui des flacons les plus chers. Grenouille a enfin trouvé sa maîtresse ! Un corps cariatide, le chant d’une cathédrale, cuisses piliers des anges, puissant édifice montant vers les mystères des nuées, pour les rejoindre sans les défier, en toute modestie – le tailleur de pierres au sommet de son art !
    
    J’ai fait une courte pause avant de reprendre :
    
    — Un corps barbare qui se fond dans la foule, Amazone sanglée de cuir et méprisant la douleur des ...