1. L'album photo d'Anne 1


    Datte: 10/03/2025, Catégories: Entre-nous, Hétéro Auteur: Laetitia sapho, Source: Hds

    ... », avec un grand sourire avant de cacher mon visage avec mon foulard. Nous sommes partis chacun de notre côté, mais le regard que nous avons échangé ce jour-là est encore gravé dans mon esprit. Enfin, avec le recul, sur le moment, j’ai juste tourné les talons et je me suis empressée d’aller photographier quelques visages connus chez les manifestants. Notamment des jeunes réalisateurs de ce qu’on appelait la nouvelle vague, quelques vedettes et quelques activistes politiques. J’ai fait un magnifique gros plan de François Truffaut. Regardez ! Le voilà, en train de hurler dans un mégaphone… Un des plus remontés. J’ai aussi Godard et Chabrol. Là. Et cette jeune femme sur celui-là, c’est Françoise Giroud.
    
    Ce cliché de François Truffaut est le premier que j’ai réussi à caser dans la presse. Mon nom n’était pas cité dans l’article, mais ma photo a été publiée. La toute première. J’étais fière. Oh pas à la une, bien sûr ! Mais j’étais dans le journal ! Il y avait mon nom, en tout petit sous la photo. Il fallait une loupe pour le déchiffrer, mais qu’importe. C’était le mien, c’était moi.
    
    Et puis la situation ne s’est pas améliorée en ce début 68. Dans les facs, dans les lycées, ça bougeait. Jusqu’à fin 67, les jeunes manifestaient, mais surtout contre la guerre au Vietnam, à l’image de ce qui se passait aux Etats-Unis. Très rapidement, les étudiants se sont mis à revendiquer plus de libertés pour eux. Les ouvriers aussi s’y sont mis, les manifestations, les grèves, les blocages ...
    ... se sont multipliés. Je courais de ville en ville, à l'affût d’un bon cliché. Je voyageais sans billet de train à l’époque, multipliant les stratagèmes pour échapper aux contrôleurs. J’ai réussi tant bien que mal à caser quelques photos par ci, par là. Elles ne faisaient toujours pas la une, mais au moins, ça me permettait de continuer.
    
    - Et tu as revu Papy ?
    
    - Bien sûr qu’elle l’a revu, sinon, on ne serait pas là !
    
    - Je n’ai pas revu votre grand-père tout de suite. J’ai gardé le souvenir de cet échange de regard, c’est sûr, mais je l’ai oublié. Il faut dire que ça bougeait de plus en plus. Ce qu’on appelle encore aujourd’hui « Mai 68 » avait commencé et en fait dès le début de l’année. Depuis l’affaire de la cinémathèque. C’est le 2 mai, que ça c’est vraiment gâter.
    
    La police fait évacuer la cour de la Sorbonne à la demande du recteur le 2 mai. Le lendemain, une première manifestation au quartier latin a conduit à des affrontements entre étudiants et CRS et à 600 interpellations. J’y étais bien sûr. C’est là que j’ai à nouveau aperçu votre grand-père. Je lui ai fait un signe. Il ne m’a pas vu. Il courait pour échapper à une charge de CRS. Le fait de dire qu’on était journaliste ne suffisait pas, surtout si on était jeunes. Il valait mieux courir. Je me suis réfugiée dans un hall d’immeuble pour ma part. On s’est revus le 15 mai, lors de l’occupation des usines Renault par les ouvriers. Là, on a échangé quelques mots. Il m’a reconnue. « Ma belle photographe de la ...
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