A voté ! - Histoires de Sexe

A voté !

... jamais franchi la porte de ma salle d’attente ! Une telle patiente, il y a longtemps que je n’attendais moi-même que ça pour apporter un quart d’heure de charme, même très chaste, à mon quotidien. Dans ce lieu, l’apparition tenait du miracle.

Et à propos d’attente, celle que nous imposait l’exercice de notre bon droit de citoyens touchait à sa fin, j’avais atteint le bureau qui m’était attribué, ravi de constater que la ravissante inconnue s’y rendait aussi, avec tout juste un peu d’avance sur moi : c’était un spectacle plus que charmant pour encourager la patience. Je m’amusai à deviner son état d’esprit et ses intentions de vote, et je la vis tour à tour indifférente, absente, rêveuse. Je crois qu’elle surprit furtivement mon regard, esquissa un sourire, se détourna. Elle me sembla alors troublée, puis nerveuse, puis soudain chancelante, proche de l’évanouissement. On s’inquiéta autour d’elle, on lui apporta une chaise, et je me frayai un passage.

— Laissez-moi passer, je suis médecin ! Cette dame a un malaise…

Je l’installai confortablement, éloignai les curieux, tamponnai un mouchoir saturé d’eau fraîche sur sa nuque fine et son joli front. Je lui pris la main, qu’elle avait bien douce, je lui pris le pouls, qui était bien régulier, et je pris surtout conscience qu’elle me destinait un langoureux regard plein de gratitude.

— Vous n’avez pas d’affection particulière ? Vous n’êtes pas enceinte ?

Elle rit, ce qui était déjà bon signe. Et elle me répondit ...

... d’une voix délicieuse, imperceptiblement voilée, entre velours et papier de verre à grain minuscule. J’en frissonnai.

— Pas que je sache, et ça m’étonnerait.
— Vous êtes venue seule ? Vous n’avez pas un proche susceptible de vous reconduire ?
— Mon mari vote dans un bureau voisin. Il me retrouvera dès son devoir accompli.
— Rassurez-vous, vous faites un simple malaise vagal. C’est l’affaire de quelques minutes, ça va passer.
— Grâce à vous, je me sens déjà beaucoup mieux. Merci pour votre délicatesse. Je vous dois combien, Docteur ?
— Juste la vérité. Quels tracas vous plongent-ils dans un état pareil ? Est-ce seulement le résultat de cette longue attente ?
— Non, Docteur, c’est plutôt le stress. Quel candidat choisir ? C’est un terrible dilemme.
— Vous n’avez aucune piste ?
— Au contraire. Mon mari est très directif. Il m’a donné des consignes de vote.
— Finalement, ça peut avoir du bon, et vous soulager de la charge de ce choix qui semble tant vous oppresser.
— Ça ne me soulage pas tant que ça. Il est tellement conservateur qu’il m’a recommandé de voter Pompidou.
— Ça heurte vos convictions politiques ?
— Ça perturbe surtout mon esprit cartésien. Son candidat est légèrement décédé.
— J’hésitais à vous le faire remarquer.
— Je n’ai moi-même pas osé le lui révéler. Le choc serait terrible.
— Vous êtes une épouse admirable. Et une citoyenne consciencieuse.
— Ce n’est pas toujours facile de concilier les deux tout en restant crédible. Il faut ruser, donner le ...