Leurre de gloire
Datte: 14/08/2024,
Catégories:
Humour
Auteur: Lottie, Source: Revebebe
... arrivaient, sous la menace, à se frayer un chemin dans cette populace. Jules avait bien envie de les interpeller pour leur dire qu’ils n’étaient pas dans la bonne direction, que les combats se déroulaient plus au nord, mais s’abstint. Il se doutait que ses remarques ne seraient pas favorablement accueillies.
La colonne de ces gens complètement déboussolés s’étendait sur des kilomètres et était de temps à autre survolée par des avions ennemis. Ce ne fut que quand les réfugiés furent mêlés aux militaires que les stukas piquèrent. Ce fut un massacre. Jules eut à peine le temps de sauter de sa voiture et de se « planquer » dans le fossé adjacent. Quand il releva la tête, il appréhenda l’ampleur des dégâts. À perte de vue, ce n’était que désolation ! Il eut un rictus de dépit en voyant brûler sa voiture, moins pour elle-même que pour la petite mallette entreposée dans le coffre, dont le contenu était parti en fumée.
Loin de l’abattre, ce contretemps le détermina à endosser un nouvel habit. Parmi les victimes de cette attaque, il avait remarqué un franciscain. Prestement, il préleva la bure et les sandales, mit en sautoir la croix tau et se ceint de la corde à nœuds. L’absence de possibilités d’ablutions de ces derniers jours de nomadisme lui avait donné le cheveu hirsute et la barbe naissante. Il ne dut pas se forcer beaucoup pour prendre un air lunaire, ce qui lui donnait une allure mystique seyant à sa nouvelle apparence.
Dans cette longue colonne de misère, plus d’un ...
... lui proposa le dîner. Il accepta souvent et paya avec force bénédictions. Jules aimait bien ce nouveau rôle qui contredisait le dicton, en l’occurrence, l’habit faisait le moine. L’exode avançait à petite vitesse et ce fut plusieurs jours plus tard que la colonne arriva dans une ville moyenne. Les fonctionnaires de la sous-préfecture, enfin ceux qui n’avaient pas encore déserté leurs postes, avaient le plus grand mal à canaliser cette populace migrante. Jules s’arrêta près d’un groupe qui bivouaquait tant que faire se pouvait à proximité de l’église. Ils avaient été surpris par le dernier orage et ils étaient trempés. Malgré le beau temps revenu en ce printemps, la troupe avait piètre allure. Jules avisa une jeune femme qui donnait le sein à un enfant et qui pleurait. La scène était touchante et il s’approcha pour lier conversation. Tout à sa nouvelle identité, il l’interpella :
— Bonjour ma sœur.
La mère leva la tête et le regarda longuement avant de répondre.
— Bonjour mon père.
— Pourquoi pleurez-vous ?
Elle le dévisagea encore une fois, baissa la tête et murmura :
— Ma fille va mourir, je vais mourir, tout notre groupe va mourir !
— Je ne crois pas, non.
— Nous n’avons plus rien à manger, rien pour nous abriter, rien pour nous soigner.
— Il y a les services d’état, ils vous aideront.
— Ils aident les Français, nous sommes Belges et Luxembourgeois, nous n’avons droit à rien.
Un habituel rictus déforma légèrement le visage du pseudo-franciscain, il ...