1. L'ouverture du bal


    Datte: 26/05/2019, Catégories: nonéro, regrets, Auteur: Lilas, Source: Revebebe

    ... virtuellement. Liana se sentit exclue de ce monde intérieur, de ce passé qui voilait les yeux de Mr Tomaze.
    
    À quoi pouvait-il bien songer ? Quelle avait été sa vie ? Si seulement il pouvait lui parler de lui, de ses aspirations, de ses secrets, de ses angoisses, de ses passions. Qu’aimait-il faire dans la vie ? Inexplicablement, Liana ne se l’imaginait pas en train de bêcher tranquillement son jardin, ou d’essuyer ses mains pleines de cambouis après avoir réparé le moteur de sa voiture.
    
    Le regard de la jeune fille s’attarda sur les mains de son compagnon, auxquelles elle n’avait jamais prêté attention. Des mains fines et blanches, aux ongles carrés. Des doigts légers qui semblaient disproportionnés vis à vis de sa taille imposante, des doigts d’où émanait une délicatesse qu’elle ne lui connaissait pas. Cet homme n’était pas un manuel, ni un terre-à-terre d’ailleurs, malgré son cynisme et l’espèce de fatalité qui teintait toujours, en filigrane, le moindre de ses propos.
    
    C’était un homme cérébral, qui ne vivait que pour occuper son esprit et se trouver d’autres centres d’intérêt qui lui permettraient de se jeter à corps perdu dans d’autres directions, vers d’autres lectures, d’autres mondes sans cesse renouvelés par le riche apport que lui cédaient ses clients en mal de reconnaissance.
    
    Un mercenaire de l’écriture, décida-t-elle, pas fâchée de lui mettre une étiquette, depuis le temps qu’il l’intriguait. Il s’appropriait les histoires des autres, se faisait payer ...
    ... pour les rédiger, et récoltait tous les fruits de ce travail. La célébrité, le respect, l’argent. Il vendait son talent d’historien et d’écrivain au plus offrant. Sans jamais se préoccuper de savoir si l’histoire était morale ou non, si elle allait lui plaire ou pas. Il ne pensait qu’à son profit.
    
    Liana avait lu pas mal de ses livres, depuis trois semaines. Elle en conservait un souvenir désagréable, comme si quelque chose l’avait gênée au cours de sa lecture. Peut-être était-ce sa manière de raconter les faits avec une froideur et un ton impersonnel qui ne laissaient aucune place à l’imagination. Dans la préface, le lecteur était averti que ce n’était pas l’histoire de l’écrivain que celui-ci racontait, mais celle d’un autre, d’un homme ou d’une femme rencontrés au hasard ou par rendez-vous, d’une vie inconnue et anonyme, d’un passé déjà vécu une fois ou cent fois, souffrance et joie se mêlant intimement.
    
    Et en effet, le lecteur en question ne pouvait s’empêcher de ressentir l’exclusion de l’écrivain dans cette vie de souffrance et de joie qu’il racontait. Malgré sa verve et les émotions qu’il faisait naître dans le cœur de ses lecteurs, Mr Tomaze était incapable de partager ces émotions, d’y participer de quelque manière que ce soit. On sentait dans ses livres du talent, du travail, de la précision et de la sincérité. On y sentait tout, sauf de l’implication.
    
    Quand Liana refermait un de ses livres, les sourcils froncés, elle se demandait pourquoi, malgré la réalité ...
«12...91011...16»