Nous vivons seul - Histoires de Sexe

Nous vivons seul

... lancé l’extincteur dans sa direction et fui dans l’autre. Nous avons entendu « bong ! » et des jurons pendant que nous détalions ; ensuite un des mecs a gueulé :

— Viens ! On s’tire !

Ils se sont effectivement tirés, ce qui nous a permis de cesser de le faire nous-même. Leur voiture a démarré en trombe et nous avons couvert en marchant les deux cents mètres qui nous séparaient désormais du lieu de l’affrontement.

— Vous les avez mis en fuite ! a dit la femme en se relevant et en rajustant sa tenue.
— Euh… oui, oui…

C’était façon de parler, car nous avions été mis en fuite nous aussi, record national du deux cents mètres – non homologué, hélas ! – sur route départementale. Nous regardions l’automobiliste s’épousseter. Elle était toute blanche. Elle cherchait ses lunettes, mais sans lunettes et avec de la poudre aux yeux, ça devait être difficile. Nous avons retrouvé les débris et les lui avons tendus.

— Merci, a-t-elle dit en essayant de les chausser.
— Ben, y a pas de quoi.
— Quels salauds, ces types ! Sans vous, j’y passais !
— Sans nous ?
— Sans vous. Sans vous, nous y passions.
— Vous croyez ?
— Quoi ?
— Que nous y serions passé aussi ?

Elle a ouvert la bouche et nous a regardé en secouant la tête. Les montures rondes qui ne l’étaient plus avaient perdu leurs verres et toute notion de symétrie et d’horizontalité.

— Je suis désolée. Ça doit être contagieux, votre truc.
— Quel truc ?

Elle a essayé de stabiliser ses lunettes, mais elles ...

... étaient vraiment fichues. Elle les a donc empochées et s’est contentée de nous regarder en plissant les yeux.

— Si nous rentrions chez vous ?
— Chez nous ?
— Vous avez bien une douche ? De l’eau chaude ? Du savon ? Vous avez sans doute remarqué que je ne suis plus très présentable. Je voudrais me laver. Sans abuser, bien sûr.
— Bien sûr.

Bien sûr, qu’elle abusait ! Elle a verrouillé les portes de sa voiture et nous avons repris le chemin de notre maison. En franchissant l’entrée, notre invitée improvisée a posé les doigts sur la plaquette cuivrée.

— C’est quoi, « A », monsieur Hopl ? André, Alain, Antoine, Alphonse, Alfred, Adolphe, Amédée, Amaury ?
— Heu… Vous pensez que nous avons une tête à nous appeler André, Alain, Antoine, Alphonse, Alfred, Adolphe, Amédée ou Amaury ?

Elle a haussé les épaules.

— Il me vient une autre idée commençant par A, mais ce n’est pas Aimable.

Nous avons réfléchi un instant sans arriver à la moindre conclusion flatteuse à notre égard, ce qui fait que nous nous sommes contenté de lui désigner la salle de bain.

— C’est là, madame.
— Merci. On m’appelle Gudule.
— Ah. Et vous ? Vous vous appelez comment ?

Elle a arrondi les yeux, puis a secoué la tête.

— Comme ça aussi : Gudule. Vous pensez bien que si j’avais eu le choix…
— Vous auriez choisi un autre prénom commençant par G.

Elle a soupiré. Du moins avons-nous perçu un très léger soupir d’agacement.

— Oui. Gertrude, par exemple.
— Ou Germaine.
— Voilà.

Elle ...