1. La défense Caro-Kann


    Datte: 05/01/2019, Catégories: nonéro, policier, Auteur: Brodsky, Source: Revebebe

    ... quartier se sont émus de ce qui lui est arrivé.
    — Ouais… Les gens sont toujours émus. Ou faux-derches… Je ne suis pas certain qu’ils le connaissaient. Moi, si. C’était une ordure, et sa mort me laisse froid.
    — Moins que lui, apparemment, Monsieur Scorsese.
    
    Ça, c’est le genre d’humour que j’aime bien. Il avait une bonne tête, l’inspecteur. La tête d’un mec épuisé par son boulot ; des valises sous les yeux, mais un esprit visiblement très vif. Et une manière de parler qui invitait à la confidence. Compréhensif ? Jusqu’à quel point ? Je décidai de lui donner des billes et de lui permettre de jouer la partie à fond. Il allait la perdre, bien sûr, mais avec honneur. Il comprendrait le « pourquoi ». Cela lui ôterait le sentiment de ne pas avoir accompli son travail correctement.
    
    — Inspecteur, même si je détestais ce type, j’aurais bien été incapable de le tuer. Mais je vais vous éclairer sur les raisons pour lesquelles, à mon avis, il s’est fait buter.
    — Je ne comprends pas ; vous entreteniez de bonnes relations avec lui, pourtant.
    — Lorsque j’ai emménagé dans mon appartement, j’ai fait connaissance avec sa femme. Elle, par contre, elle était très sympa. Je les ai invités à prendre l’apéro chez moi et nous nous sommes vus, en effet, à plusieurs reprises.
    — Pourquoi cela, si vous le détestiez ?
    — Pour elle, Monsieur l’Inspecteur. Mais vous allez comprendre. Ratelier, pour ceux qui ne le connaissaient pas, pouvait passer pour le type bien sous tous rapports. Courtois, ...
    ... prévenant, amusant même… Mais après un ou deux verres, il se laissait aller à la confidence. Et franchement, ce n’était pas beau.
    — Expliquez-moi.
    — Ce type était DRH dans une grosse boîte qui vend de l’inutile pas cher à des zozos qui n’ont besoin de rien. Il fallait voir – ou entendre – comment il se vantait de traiter le personnel de sa boîte. Faire chialer une femme sans défense (parce qu’on est sans défense quand on a besoin de sa paye) était pour lui une manière de jouir. Il s’est même auto-glorifié d’avoir poussé deux de ses employés au suicide. Il a été attaqué en justice par une des familles, mais il avait préparé un dossier en béton. Tout ce qu’il avait fait était légal, dans la forme. « Immoral, mais légal » ; c’était une de ses expressions favorites. « La moralité, c’est pour les faibles, et c’est là-dessus que les gens comme moi peuvent faire fortune », qu’il disait. Il était écœurant… Alors franchement, qu’un type ait voulu le voir crever, ça ne m’étonne pas. Et qu’il ait réussi son coup… eh bien, ça me fait plaisir.
    — Et sa femme ?
    — C’est quelqu’un de chouette. Elle était étouffée par son mari. Elle est libre à présent.
    — Hum… Que faisiez-vous la nuit du meurtre, Monsieur Scorsese ?
    — Je vous l’ai dit : j’étais chez moi. Seul. Je regardais la télévision.
    — En effet. Vous regardiezUn singe en hiver sur TF1 ; c’est ça ?
    — C’est pas souvent que TF1 passe un film intelligent. Alors ça m’a marqué, en effet…
    — Oui… Mais c’est là que je rencontre un problème, ...