Androgyne
Datte: 19/03/2023,
Catégories:
Transexuels
Auteur: Monsieur Plume, Source: Xstory
La pointe fine du feutre glisse rapidement sur le papier immaculé. Parfois, la main qui le tient s’interrompt, hésite, parcourt le texte avant de raturer un mot ou d’en ajouter d’autres. Attablé à une terrasse de la petite station balnéaire, une tasse de café maintenant presque froid à portée de main, Gilles ignore totalement le monde qui l’entoure. Concentré à l’extrême sur sa tâche, l’écrivain de quarante ans ne s’arrête par instant que pour réfléchir en frottant machinalement sa barbe de trois jours ou en passant une main dans sa chevelure brune un peu trop longue. C’est son look bohème, comme disent ses amis qui pensent pour la plupart que son apparence est une façon pour lui de se donner un genre, alors qu’il n’en est rien.
Ses deux précédents romans ont reçu un accueil enthousiaste de la part des critiques et des lecteurs et il sait qu’il est maintenant attendu au tournant. Cette pression a été difficile à gérer et il a traversé une période où son inspiration l’avait complètement déserté. Suivant les conseils de son éditeur qui lui préconisait un changement d’air, Gilles avait quitté Paris pour louer un appartement meublé dont les fenêtres donnent sur la mer. Bien lui en a pris, car depuis quelques jours, il fourmille d’idées et est pris d’une frénésie d’écriture.
A quelques mètres de là, un groupe de jeunes gens remonte la rue en riant et chahutant, mais Gilles ne fait pas attention à eux. Ils s’interpellent et se bousculent par jeu et, en arrivant près de ...
... l’écrivain, une fille trébuche, heurte la table avant de retrouver son équilibre et de s’éloigner à la poursuite du responsable de l’incident. Le café se renverse et Gilles ne sauve son précieux carnet que par réflexe. La bande est déjà loin et, alors que l’écrivain les suit du regard en grommelant, une voix douce attire son attention :
— Pardon m’sieur, mais je crois que c’est à vous.
Un garçon se tient près de sa table et lui tend le feutre qui avait roulé par terre. Il ne doit pas avoir plus de vingt ans, de grands yeux bleus qui éclairent un visage aux traits délicats parsemé de quelques taches de rousseur, une bouche un peu boudeuse et des cheveux blonds noués en catogan par un élastique. Il porte une paire de tennis usés, un short en jean délavé et un maillot de football un peu trop grand pour lui. Gilles le remercie puis, comme le jeune homme reste là à le dévisager avec un air perplexe, il lui demande s’il peut faire quelque chose pour lui.
— Désolé, je ne voulais pas vous déranger, mais j’ai l’impression qu’on se connaît, non ?
— Je ne pense pas. En fait, je ne suis pas du tout d’ici, tu vois...
— Oh, j’ai trouvé ! Vous êtes cet écrivain, là. Celui de... « la Dernière ombre » ?
— A vrai dire c’est « l’Ultime lueur », mais oui c’est bien moi. Et c’est toujours un plaisir de rencontrer un de mes lecteurs.
— Ouais, enfin c’est surtout ma mère qui est fan de vos bouquins, moi je trouve ça un peu trop intello, si vous voyez ce que je veux dire. Votre héros, ...