1. Suspension


    Datte: 05/07/2018, Catégories: nonéro, mélo, nostalgie, amourdram, Auteur: HugoH, Source: Revebebe

    ... le questionnait moins qu’avant, elle avait compris qu’il n’était plus question de discuter de ça.
    
    Le congélateur était ancien, un jour il cèderait. Il le redoutait. Il faudrait qu’il anticipe, qu’il le fasse changer. Mais c’était un travail colossal, ça le dépassait complètement. Il tira sur la poignée, ouvrit grand la porte, l’air glacial happa son visage.
    
    Elle le regardait, fixement. Des pupilles claires. L’épiderme d’un spectre. Une rigueur cadavérique qui lui conférait une allure de poupée ancienne. Elle avait les yeux grands ouverts. C’était sa plus grande fierté : Il avait réussi à figer ce regard-là. Il passa le chandelier devant la glace zébrée ici et là.
    
    Ses cheveux noirs lui masquaient le cou ; sous la peau nue couraient des veines bleuies. Des couleurs qu’il n’aurait jamais su reproduire. Derrière l’éclat des lueurs mates, elle semblait plus belle encore que ce jour d’été vingt ans plus tôt.
    
    Il se perdit sur son ventre rond, secoua doucement la tête. Il avait inversé le temps. Sa main flatta la glace, plusieurs fois, jusqu’à ce que ses jointures se raidissent. Il n’avait de cesse de penser à elle, encore et ...
    ... encore. Et plus il la regardait et plus il se souvenait à quel point il avait tort de l’aimer, et combien les raisons étaient mauvaises et nombreuses. Des images lui chahutaient l’esprit. Ils avançaient côté à côte, le soleil dans les yeux. Côte à côte sans se toucher, juste l’indicible lien entre eux.
    
    Il avait figé le temps au moment où elle avait voulu partir, avec son maudit ventre rond. Tout allait si bien pourtant, tout était tellement logique. Elle lui avait tendu cette lettre. Des mots durs, rugueux, mal maîtrisés ; une vision de lui qu’il n’avait pas envisagée. Ses mains avaient touché son cou, sa nuque. Il la contempla encore. Elle avait cet air absent, ça le saisissait à chaque fois. C’était cet instant triste qu’il avait sous les yeux. Jamais il ne réussirait une telle œuvre. C’était pourtant la sienne, le juste nœud de son âme. Mieux valait ça que rien du tout. Il ne regrettait pas, il ne fallait pas regretter.
    
    Il se sentit mieux.
    
    Sa femme dormait encore, il le savait. Sa respiration profonde lui manquait soudain. Tout était à son exacte place, rien ne bougerait plus. Juste la cime des arbres sous le vent du parc. 
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