1. Place Kléber


    Datte: 29/05/2021, Catégories: amour, dispute, nonéro, Humour amourdura, Auteur: Fisherman, Source: Revebebe

    ... cas, ou pourquoi pas, le quitter définitivement.
    
    Il en resta d’abord hébété, oublia d’en tirer sur la cigarette qui se consumait entre ses doigts. La mâchoire béante, debout au milieu de la place, tout à ses pensées, il semblait s’être littéralement statufié. Puis, il s’anima ; du moins, son corps s’anima malgré lui : une sorte de cri rauque, exprimant à la fois la surprise, le désarroi, la révolte, jaillit de sa bouche en même temps qu’il se frappait le front du plat de la main.
    
    — Mais quelle garce ! s’écria-t-il.
    
    Il lui fallut un certain temps pour se reprendre. Une succession de soupirs férocement exhalés l’y aida. Lorsqu’il eut dix fois tourné sur lui-même, comme un lion en cage, à grand renfort de mouvements de bras, comme s’il avait à faire à un adversaire invisible, il s’arrêta, secoua plusieurs fois la tête, et se remit en marche, le cœur lourd, vers sa voiture.
    
    Il ne sut jamais vraiment ce qui le décida à emprunter cette petite ruelle, sombre, mal éclairée, qui bordait la place. Sans doute, que ne voulant se résoudre à accepter l’inacceptable, il avait tenté une ultime fois de se lancer à sa recherche. Cette ruelle se situait non loin de l’endroit où ils s’étaient postés pour écouter les chants de Noël. Les chœurs avaient maintenant plié bagage et la place Kléber était quasi déserte : il n’était pas loin de vingt heures et tout le monde rentrait pour réveillonner. Il faisait très froid et chacune de ses expirations, décuplées par la colère sourde qui ...
    ... grondait en lui, laissait apparaître un petit nuage de vapeur blanche. Il marchait maintenant d’un pas décidé, déterminé à rentrer le plus vite possible chez lui, pensant amèrement au gâchis qu’Anne-Sophie venait d’occasionner. L’idée de lui laisser un message téléphonique incendiaire s’imposa à lui comme une chose incontournable et plus que justifiée. Il s’arrêta donc à l’angle de la ruelle, sous une porte cochère faiblement illuminée pour fouiller rageusement ses poches, à la recherche de son portable.
    
    Ses doigts palpèrent et identifièrent l’étui de plastique froid qui contenait le combiné, et alors qu’il s’en saisissait, le rire de la femme qu’il aimait fusa, radieux, espiègle. Il le transperça momentanément, lui faisant perdre le Nord, le Sud, le sens des priorités, la tête… Il s’arrêta, interdit, ne trouvant rien d’autre à faire que saisir la petite rampe de fer forgé de la porte cochère à pleine main. Prudemment, il fit un pas en avant, puis deux, jusqu’à atteindre l’angle du mur, qui lui révéla une petite placette, faiblement éclairée par ces antiques réverbères encore semblables à des becs de gaz.
    
    Un adolescent, un jeune gitan de toute évidence, était assis là, par terre, chaudement emmitouflé dans une vieille doudoune. À côté de lui, sur le sol, un chien miteux paisiblement allongé, la tête reposant sur un sac à dos. Pour se réchauffer, sans doute, dans le fond rouillé d’un vieux baril, l’adolescent faisait brûler de vieilles cagettes, des immondices, qui ...
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