Pour un air de guitare
Datte: 26/03/2021,
Catégories:
fh,
ff,
copains,
plage,
amour,
revede,
nostalgie,
Auteur: Calpurnia, Source: Revebebe
Quand l’avion accélère sur la piste, je ferme les yeux et vois un visage, plus nettement que jamais.
Ce souvenir me hante depuis vingt ans. Il est visuel, auditif, olfactif. Dans mes rêves, je l’ai vécu de nouveau mille fois sous différentes variantes. Quelques images sont récurrentes : assise en tailleur sur le sable, la belle Carina joue de la guitare. C’est un air nostalgique qu’elle chante en portugais, sa langue maternelle. Quelques heures auparavant, dans sa voiture qu’elle conduit, trois garçons l’accompagnent : Philippe, Éric et moi, Jean. Nous sommes des étudiants âgés d’autour de vingt-deux ans.
C’est Carina qui nous a emmenés là, à une semaine de la rentrée de septembre. Elle venait chaque été sur cette plage. Partis tôt le matin, nous sommes arrivés au milieu de l’après-midi, et nous avons joué au volley avec d’autres jeunes qu’elle connaissait.
Il y avait Mariska et Seer, des Hollandaises de nos âges qui avaient apporté le filet et le ballon. Même si les adversaires variaient, la plupart du temps, nous jouions trois garçons contre trois filles. Elles se ressemblaient, toutes les deux d’un blond très pâle, et leurs cheveux longs dessinaient des soleils à chaque fois qu’elles sautaient. Nos adversaires étaient belles et nous déconcentraient, de sorte qu’elles ont gagné toutes les parties – non, l’excuse est bancale : elles jouaient mieux, voilà tout. Dans l’euphorie de la victoire, notre amie a embrassé les deux autres sur les lèvres, brièvement, mais à ...
... pleine bouche. Et si elle préférait les femmes ? Nous, les garçons, nous sommes regardés entre nous, troublés, déstabilisés. À ce moment, j’ai pris conscience de me tromper en croyant bien la connaître.
Nous nous sommes baignés pour nous rafraîchir, alors que les familles commençaient à quitter la plage. Puis nous avons pique-niqué derrière les dunes. Même sur la côte Atlantique, la nuit tombe vite en cette fin de saison. Mariska et Seer sont restées avec nous. Avec elles, nous discutions en anglais. Elles logeaient au camping avec les parents et les frères de Seer.
Nous avons contemplé le coucher du soleil sur l’océan, et comme nous avions un peu froid, nous avons fait du feu avec du bois mort. C’est à ce moment que Carina a sorti sa guitare de son étui, qu’elle a joué cet air que j’entends encore, et chanté de sa voix de soprane qui était non seulement juste, mais aussi étonnamment puissante. Du fado, qu’elle connaissait par cœur. Une pensée m’a traversé à ce moment-là : elle est un ange venu du ciel pour nous enchanter. Le vent marin qui venait de se lever faisait voler les mèches brunes de ses cheveux dénoués. Tout en écoutant, Mariska et Seer se tenaient la main. Moi, je contemplais un visage, inlassablement.
La guitare ne s’est tue qu’au moment où toute lueur avait disparu. La Lune avait déjà gravi le ciel, mais n’était qu’un mince croissant et le feu s’était éteint. Nous étions plongés dans une obscurité presque complète.
Cela ne nous a pas empêchés de nous ...