1. Pied de grue


    Datte: 06/02/2021, Catégories: inconnu, humilié(e), cérébral, nopéné, nonéro, Humour Auteur: Alain Garic, Source: Revebebe

    ... drôle mais la pluie s’intensifie et elle n’a pas de parapluie. Pas le moindre chevalier servant à l’horizon. Elle s’est faite belle pour lui, mais elle ne va plus ressembler à rien si elle ne s’abrite pas très vite. Une vraie tapineuse serait mieux équipée, se sermonne-t-elle. Et elle serait probablement au chaud maintenant, au moins dans la voiture d’un homme. Cette idée en elle-même n’est pas désagréable. Cette histoire de transaction naturelle, séduisante comme un jeu de tactique où l’on miserait or et sang, corps et argent, la touche et pourtant lui échappe. Une sorte de commerce originel ; la révélation d’un pouvoir d’essence divine mais accessible au prix négociable d’un compromis moral. Fascinante d’absolu, l’idée lui donne des frissons. Oserait-elle adopter une démarche déhanchée ? Elle essaye quelques pas et ça l’amuse. Elle se demande jusqu’où elle pourrait aller sans trop se mouiller…
    
    C’est à ce moment qu’elle remarque une berline arrêtée près d’elle. Elle se penche à la fenêtre, pour vérifier si c’est bien celui qu’elle attend, mais la vitre se baisse révélant un inconnu qui la dévisage sans sourciller.
    
    Il semble hésiter. Il l’observe comme on lèche une vitrine. Alors elle passe sa tête par la fenêtre, autant pour mieux voir l’homme que pour abriter son visage du climat. Elle est trempée et il fait bon dans l’habitacle. D’un regard indécent, l’inconnu lui fait prendre conscience de son décolleté. Elle se surprend à lui sourire en retour et à se pencher plus. ...
    ... Réflexe professionnel. L’idée qu’elle disposerait d’un peu de temps, voire d’une excuse légitime pour ne pas être restée au rendez-vous, germe dans son esprit. D’un simple bonsoir interrogatif appuyé d’un regard charmeur, c’est elle qui rompt le silence et engage la négociation. Après une interminable hésitation et en essayant de paraître calme, le client bafouille du bout des lèvres la traditionnelle question : – C’est… c’est combien ?
    
    Elle rougit sous le choc, mais sans pouvoir décider si on l’insulte ou la flatte. Elle sait à quoi elle joue. Les réponses possibles se pressent dans son esprit, d’un cordial « vous faites erreur » à une répartie plus cinglante. Elle aimerait trouver une réponse ambiguë et artistiquement commerciale, pour prolonger le jeu. Elle sait que ce qu’elle aime, c’est vendre, et fixer l’exact prix qu’une chose mérite. Pourvu qu’il n’arrive pas maintenant, au pire des moments, se dit-elle simplement. C’en est vertigineux. Elle sent qu’elle perd la raison mais qu’en quelques minutes, elle peut vivre une expérience entièrement nouvelle, unique, sans préméditation, dans cette voiture et derrière des vitres embuées. Elle n’aurait qu’un pas à faire, qu’un mot à dire pour vendre son corps. « Louer » son corps, se corrige-t-elle immédiatement ! Elle se sent fiévreuse comme une bluffeuse au poker et elle n’a que très peu de temps. Ses lèvres s’animent alors et elle s’entend répondre : « Trois cents euros la pipe. Cinq cents l’amour. »
    
    Elle n’en croit pas ...