Pied de grue
Datte: 06/02/2021,
Catégories:
inconnu,
humilié(e),
cérébral,
nopéné,
nonéro,
Humour
Auteur: Alain Garic, Source: Revebebe
Evidemment, il est en retard. Enfin, il a peut-être une bonne raison. Il l’a prévenue qu’il amenait sa voiture chez le mécanicien en sortant du bureau ce soir. C’est avec un véhicule de courtoisie prêté par le garage qu’il doit passer la prendre. Mais il commence à se faire tard et elle s’inquiète. Pourvu qu’il ne lui soit rien arrivé.
Il pourrait au moins la rappeler. Elle a laissé deux messages sur son répondeur. Et puis il va bientôt faire nuit. Ce n’est pas qu’elle ait froid, mais elle n’aime pas être dans la rue seule et habillée pour sortir. Mais tant qu’il fait jour, ça va. Elle évite tout de même de croiser les regards. Heureusement, le quartier est plutôt bien fréquenté, même si elle a appris par une cliente qu’à cinq cents mètres de là, des prostituées arpentent chaque nuit le boulevard parallèle au sien.
Elle l’aime, ce quartier bourgeois, et son petit magasin lui donne satisfaction. Les résultats sont florissants et le travail agréable. Elle aime autant le contact avec les clients que les calculs comptables. Dégager la plus grande marge sans décourager l’acheteur, c’est son jeu favori, comme d’autres vont à la pêche. Elle y excelle. Et compter les bénéfices est son passe-temps du dimanche.
Quand elle a fermé le rideau de fer ce soir, de gros nuages gris s’annonçaient déjà. Depuis, le vent s’est levé et à présent la nuit tombe. Elle s’impatiente. En plus, elle ne sait pas avec quel genre de voiture il doit venir, alors elle les scrute toutes. À mesure que ...
... le jour s’éteint et les phares s’allument, cela devient plus difficile. Elle ne veut pas sembler insistante. Surtout qu’elle observe exclusivement les voitures conduites par des hommes seuls. Certains lui retournent son regard. Elle baisse alors les yeux quand elle réalise que ce n’est pas lui.
Finalement, elle décide de les ignorer. S’il arrive et qu’elle ne le voit pas, il l’appellera bien, non ? S’affranchissant de la rue un instant, elle s’allume une cigarette et plonge dans ses pensées, en l’occurrence un intéressant problème d’approvisionnement des stocks qu’elle se voit résoudre avec brio. De toute façon, il serait inconcevable qu’on la prenne pour une fille de joie, se répète-t-elle pour se rassurer. Bien sûr, elle s’est habillée légèrement sexy pour sortir avec lui, mais rien d’inconvenant. Ce qu’elle appelle une sensualité raffinée. Se rendre désirable ; rester inaccessible. Faire monter les enchères, elle adore. Elle sait qu’elle a de la classe.
Les réverbères s’allument et la nuit s’installe autour d’elle. Les passants se raréfient. Elle a senti une goutte ; il va sans doute pleuvoir. Elle se sent ridicule alors elle marche de long en large sur le trottoir, aggravant son cas. Elle a l’impression de promener son sac à main. Certaines voitures ralentissent en passant près d’elle. Elle regarde à chaque fois, au cas où ce serait lui. Toujours des hommes seuls. Des regards s’échangent avant qu’elle n’ait le temps de détourner les yeux.
Elle pourrait trouver ça ...