1. L'île


    Datte: 23/12/2020, Catégories: nonéro, Auteur: HugoH, Source: Revebebe

    ... auparavant. Mais dans le décor paradisiaque du country club, ces mots semblaient désormais des menaces.
    
    — Karl, je te parle bordel !
    
    Peter humectait son cigare comme une pute vénézuélienne.
    
    — Rien, Pete, rien du tout, je suis juste un peu crevé.
    — Quel scoop ! grimaça Pete, je crois que même les femmes de ménage l’ont remarqué.
    — Ça va s’arranger.
    — Tu nous coûtes du fric, Karl. Il vaudrait mieux que ça s’arrange. Prends des vacances si ça ne va pas, je te le redis, prends des vacances.
    
    Je te le redis ? Il lui avait déjà dit ? Mais quand ?
    
    — Tu sais très bien ce que ça signifie.
    — Ça signifie, prends des vacances, c’est tout.
    — Non.
    — J’en ai dix derrière toi Karl. Il va falloir te bouger.
    — Tant mieux, c’est une bonne nouvelle pour la société. Une très bonne nouvelle ! Putain, tant mieux !
    — Ne joue pas au plus malin Karl, écoute bien mes paroles. Je ne veux plus de conneries.
    — Je vais tout donner Peter, je vais tout donner, je te le promets.
    — Essaie les vitamines, les B machin chose, c’est pas mal, ma femme m’en gave du matin au soir. Elle me tanne au téléphone : « Est-ce que tu les as pris Peter, est-ce que tu les as bien laissées fondre sous la langue ? »
    — Oui, des vitamines, j’y penserai, grimaça Paul en ajustant son swing.
    
    Le danger approchait. Il pouvait le sentir. Il était là, tapi, dans les épais nuages. Il y avait des écrans plats partout dans la ville. Du moins ne voyait-il qu’eux. Des écrans plats branchés sur des chaînes d’info ...
    ... en continu. Sous les visages lisses des présentateurs s’incrustaient noir sur blanc des bandes mouvantes qui portaient des chiffres, des données, des sigles. Des dépêches de partout. Le monde en mouvement. L’eau venait à manquer, le pétrole venait à manquer, le blé venait à manquer. Sept milliards d’individus qui épuisaient encore et encore une planète souffreteuse.
    
    Quand il lisait le journal, ses yeux comme aimantés avalaient les pages des faits d’hiver, dévorant certains articles jusqu’à la nausée. Ces mots semblaient des sortilèges qui brûlaient son âme. Enfant / Disparition / Viol / Meurtre / Séquestration / Pédophile / Réseau. Et encore d’autres : Sévices / Maltraitance / Infanticide / Abandon / Carambolage / Accidents domestiques / Incendies. Désormais toute violence relatée à l’écrit, à l’oral, à l’image lui glaçait le sang. Ce monde, Dieu – mais de quoi parlait-on ? - lui en était témoin, ce monde sombrait totalement. Trop de gens, trop de créatures, trop de dingues, la putain de grande dinguerie.
    
    Un matin, quelques mois après les incidents du parc, les nouvelles lui avaient explosé à la figure. Une tuerie dans un lycée. Un de ces établissements de la banlieue que jouxte presque toujours un terrain de foot parfaitement rectangulaire et impeccablement tondu. Ce genre d’herbe qui transpire quand le soleil se lève.
    
    Vingt-quatre morts.
    
    Le tueur, seize ans, s’était suicidé en se tirant une balle dans la bouche. Une armada vivante. On avait retrouvé près de son ...
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