1. L'île


    Datte: 23/12/2020, Catégories: nonéro, Auteur: HugoH, Source: Revebebe

    ... tentative. Il en aurait craché de colère sur la ville si les fenêtres scellées l’avaient permis. Mais l’air contrôlé et régulé de l’immeuble était à ce prix. Au moins cela annihilait-il toute tentative de défenestration.
    
    Il prit des rendez-vous avec des « psy ». Les meilleurs de la ville. Des coachs, des oreilles à cinq cents billets l’heure. On lui trouva à peu près tout ce qu’une vie comme la sienne peut charrier de névroses et de pathologies. L’arrivée de ses enfants l’avait déconstruit, ainsi que réveiller des névroses latentes, lui disait-on. Il fallait du temps. Et quelques anxiolytiques également.
    
    Le temps passa dans une incroyable tourmente de consultations et de dépenses. Ça devait bien venir de quelque part tout ça. Il considérait son mal avec une amertume comme sortie du trou du cul d’un havane refroidi.
    
    Quelquefois, il repensait aux roustes que lui filait son père. À cette affreuse terreur qui lui serrait le ventre en entendant les pieds traînants dans le couloir les soirs de colère. Le pire c’est que ce chien ne buvait même pas. Sobre, il le frappait. Parfaitement lucide et haineux. Élevé à la dure comme il disait. Il en avait parlé à ses différents analystes sans en éprouver de soulagement, sans même parvenir à pleurer un peu. Des poubelles vivantes ces analystes. Aspirateurs à névroses, aimants à refoulements. Et Karl se demandait bien où allait la merde quand on la sortait de son crâne.
    
    Il avait épuisé tout ce que les laboratoires peuvent ...
    ... fournir sous l’appellation d’anti-anxiété. Et à part l’abrutir et rendre ses réunions stratégiques aussi percutantes qu’une course de ski de fond, aucune amélioration n’était à cocher dans la colonne crédit. Le soir, dans le centre, il prenait une bière ou deux, souvent trois. Le soleil, quand il perçait les nuages, faisait miroiter le fleuve, et sur les écrans du club, quand la bourse clôturait à la hausse, il entendait les traders trinquer, les patrons rire.
    
    Mais, caché dans ces exclamations, il sentait bien chez lui et chez les autres le souffle de la résignation. Ça ne durerait pas. Ce monde était au bord du gouffre. Les flèches ne pouvaient pas continuer d’aller vers le haut. Tout paraissait tellement abstrait. Ce bruit, cette mélasse lui devenait insupportable. L’oppression venait en même temps que les vertiges. Alors, il se levait de table, s’excusait auprès de ses collègues, rajustait sa cravate et sortait pomper l’air vicié de la ville à grands coups de respirations hystériques.
    
    Au boulot, ça se mit à dérailler lentement mais sûrement. Quelques erreurs, quelques absences. À son niveau, ça ne pardonnait pas. Son boss, Peter K, l’avait pris à part au golf, flattant son épaule comme un père l’aurait fait.
    
    — Qu’est-ce qui ne va pas Karl ? Dans deux ans, tu coordonneras les trois entités.
    
    Coordonner les trois entités, c’étaient bien les termes qu’il avait utilisés. Coordonner. Entités. Des mots qu’il avait appris à aimer. Des mots qu’il avait faits siens longtemps ...
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