1. L'île


    Datte: 23/12/2020, Catégories: nonéro, Auteur: HugoH, Source: Revebebe

    ... promettait des lendemains qui déchantent. Qui jugeait le projet « insensé » et « démesuré. » Et à ces lancinantes remarques et interrogations qui n’empêchaient pas l’encaissement des chèques, Karl opposait de laconiques : « Ok, et où en est-on des papiers ? Où est-ce que ça nous mène, Luiggi ? »
    
    Les portables vibraient, chauffaient les oreilles et les tempes. Et les choses avançaient tranquillement jusqu’à ce que Karl dise un jour juste avant de raccrocher : « Bien, nous partirons mardi prochain ».
    
    La maison était déjà presque vide. Des hommes en combinaison venaient à intervalle régulier s’emparer de meubles de plus en plus intimes. La veille du départ, il ne restait plus qu’un grand lit dans lequel ils dormirent tous les quatre. Des bougies allumées sur le sol. Les enfants furent agités toute la nuit. Excités et inquiets malgré les mains apaisantes de leurs parents qui allaient et venaient sur leurs cheveux.
    
    Par les persiennes boisées largement entrouvertes, la lune berce la chambre. Karl n’ignore pas que désormais, à cette heure si tardive, il n’arrivera plus à dormir. Ce ponton, ça le rend dingue.
    
    Il se lève, enfile un pantalon de toile et une chemise de lin. Attrape un des écouteurs babyphone portable. Léane murmure dans son sommeil des mots étranges qui ne vont pas entre eux. Les vestiges d’avant. C’est normal à son âge.
    
    Il aime marcher pieds nus ici. La pierre, le bois, la terre, tout garde enfoui en soi la chaleur. Dans la douce tiédeur de la nuit, il ...
    ... trouve la chose admirable.La vie, somme toute, commence à bien s’organiser, songe-t-il en se dirigeant vers la remise près de son bureau.
    
    Il déverrouille les trois serrures de la porte. Peut-être une de trop en cas de problème, en cas de vrai problème, regrette-t-il en choisissant l’un des cinq fusils qui s’alignent, sages et lustrés, de parfaite façon dans le râtelier. Il opte après une courte hésitation pour le Baikal automatique. Y insère deux grosses cartouches rouges, fait claquer la culasse. Bruit de métal, cliquetis, crissements. Dans la nuit claire, l’arme à l’épaule, il marche près de la piscine, se félicitant encore une fois du choix de cette maison de plain-pied. Pas d’étages, pas de sous-sols. Contrôlable.
    
    Paul s’assoit sur une roche proéminente qui crève la terrasse à son extrémité et qui domine le ponton et le littoral. Les deux bateaux dodelinent doucement sous la lune. Il allonge les jambes.
    
    Assis sur la roche, il contemple la lune basse grignoter la mer. Une belle nuit, vraiment. Il tient son fusil des deux mains, fermement. Personne ne viendra les chercher ici. Bien sûr, il y a des questions. Que se passera-t-il quand ils grandiront ? Ils auront et c’est normal, l’envie de quitter l’île. Et lui, sera-t-il capable de les laisser partir ? De lâcher l’amarre du bateau près du ponton. De les laisser s’éloigner. Il l’ignore.
    
    Cet amour qu’il ressent au fond de lui, cet amour le détruit. Un jour, ces êtres qu’il chérit le plus le trahiront. C’est normal. ...