La Gare
Datte: 01/11/2020,
Catégories:
fh,
train,
cérébral,
exercice,
Auteur: Zoe G., Source: Revebebe
La gare de Vladivostok
— La gare est là. Une foule hétéroclite se bouscule, laissant échapper un bourdonnement sourd de voix, de cris, de sifflets… Les cliquetis des locomotives grincent sur les rails rouillés. Une fumée dense et âcre emplit la gare. Chaque vie est unique. Chaque histoire aussi.
— Un homme descend d’un train bondé. Sa main forte agrippe la rampe. Il est châtain, mal rasé, comme un amant après une nuit d’amour. Son regard clair cherche dans cet imbroglio de têtes, d’hommes et de femmes. Les odeurs se mêlent remontant jusqu’à son olfactif. Brillantines d’hommes, parfum bon marché, odeur de tabac à pipe mêlées à l’odeur suave de la chicorée qui fume dans les kiosques… Son pied atteint enfin le quai. Son regard devient sombre, désespéré.
— À l’autre bout du quai, une femme a le même regard. Leur vie se joue là… dans cette gare puante. Bousculée de toute part, elle se fraye un chemin parmi ces carcasses de chair. Son esprit est déjà avec lui. Son regard apeuré croise des milliers d’yeux vides. Sautillant sur elle-même afin d’éviter la cohue, elle le cherche. Lui.
— Un ultime regard les fait se découvrir enfin…
— Il est là, planté sur ses deux jambes musclées, le cœur battant. Elle court vers lui, les yeux humides, une boule dans la gorge.
— Elle tient le béret qui recouvre sa chevelure rousse. Quelques boucles échappées du mince couvre-chef, lui encerclent le visage. Un long manteau de laine grise rend sa silhouette plus fragile encore.
Arrivée à sa ...
... hauteur, telle une enfant, elle se jette dans ses bras protecteurs. Le monde n’existe plus. La gare à cet instant est figée.
— Il la serre contre lui comme pour s’emplir de son odeur, de sa douceur de sa présence. Il caresse doucement son visage dégrafé par les larmes. Dans un élan de tendresse, leurs bouches se rejoignent avidement. Toutes ces années d’attente sont effacées dans cette communion. La guerre, les interdits, la montée du communisme, ils en sont sortis… indemnes. Il l’entraîne hors des regards curieux et de la foule. Dehors la nuit est froide. Quelques révolutionnaires scandent des slogans en agitant des drapeaux rouge sang. Les pavés mouillés où se reflète la lune, accompagnent le bruit de leurs pas. Ils se serrent l’un contre l’autre, moins pour se réchauffer que pour sentir la chaleur de leur corps meurtris par l’absence. Au détour d’une rue, il l’entraîne sous une porte cochère, à l’abri du monde. Elle reste, là debout. Leurs bouches à nouveau s’épousent avec fougue.
— Il sent ses lèvres chaudes et douces, délicatement parfumées. Il mord dedans comme dans un fruit mûr qui doit être cueilli.
— Elle, ferme les yeux, se laissant emporter dans ce tourbillon. Doux mélange de douceur et de violence qui fait que l’on se sent vivant !
Vivante ! Oui vivante elle l’est. Elle sent sur son visage la rudesse de cette barbe drue. Douleur vive d’une écorchure à vif et sensation de bien-être mélangées. Elle le hume de toutes ses forces, comme pour s’imprégner de ce ...