1. Sieste d'hiver


    Datte: 06/07/2020, Catégories: forêt, campagne, amour, revede, nonéro, Auteur: Musea, Source: Revebebe

    Ce matin, il a neigé.
    
    Une neige légère, comme une plume d’ange, comme une promesse.
    
    Je la regarde posée, ouatinée comme une barbapapa et j’aurais presque envie de la goûter, du bout de la langue, pour saisir ce goût de poussière gelée et constater qu’elle a toujours une petite saveur acidulée, presque piquante.
    
    Les branches chargées s’égouttent lentement tandis que les oiseaux, affamés, se disputent les graines du liquidambar, logées à l’intérieur des petits fruits encore accrochés aux branches dénudées. Un étrange silence règne sur le jardin, mais aussi sur la ville, comme désemparée par la situation.
    
    L’averse a pris le paysage par surprise. Il lui faut le temps de s’habituer.
    
    A cette lumière blafarde, qui illumine d’une drôle de façon le bitume et les façades, mais aussi à ce frisson humide qui court le long des rues désertes et des impasses, comme une mauvaise fièvre.
    
    Bonhomme hiver a secoué son édredon de plumes disait un vieux conte.
    
    Autrefois je riais de l’image, je dansais sous les flocons et je priais que ce petit miracle reste là le plus longtemps possible.
    
    Est-ce la maturité qui me fait aujourd’hui penser d’abord à tous ceux que ce temps aura mis un peu plus dans le désarroi ?
    
    Il faudrait savoir retrouver le temps de l’insouciance certains jours…
    
    Je soupire, rajustant le rideau devant moi.
    
    Je mets un peu de musique et vais me blottir sous la couverture en patchwork du canapé. J’ai fermé les yeux.
    
    Vivaldi m’emporte auprès d’un feu ...
    ... crépitant où je croise un regard bleu plein de tendresse. Il me parle d’un bol de lait et de miel, de mon bout de nez gelé qu’il a envie de croquer. Je souris et mon esprit s’envole, bien au-delà des rivières et des monts, me faire rejoindre ce pays que la neige pare aussi bien que l’herbe fleurie.
    
    Le lait des narcisses, la plainte d’un petit chat perdu sur le chemin détrempé, le meuglement doux des aubracs sous le toit de lauze, mes pas assourdis dans le grand manteau blanc entre crissement et chuintement se posent, incertains.
    
    Un bruit de sabots sur la route. Un traîneau passe, clochettes au vent, fumée odorante d’étable et de foin frais, presque rassurant dans la froidure piquante.
    
    Je regarde l’homme qui conduit l’attelage. Son écharpe s’envole et vient s’enrouler autour de mon cou tandis que sa voix me murmure: « C’est la Reine des Neiges qui vient nous emporter. Saurez-vous me conduire, ma mie, et trouver le mot ETERNITE ? »
    
    Je déchiffre l’énigme, me faisant Gerda en marchant dans la forêt giboyeuse.
    
    Un lièvre roux détale à mon approche. Monter…monter encore, entre sapins, châtaigniers et noyers qui se tordent dans les champs, congères, stalactites bleues, bruits d’ailes et vent mordant.
    
    Le givre a envahi les carreaux de la vieille maison, enchevêtrement de dentelles éphémères, qu’un artiste aurait gravées là pour moi. Je trouve la clé dans le pot de grès. La porte grince. Une odeur de bois brûlé me prend le cœur. J’approche mon briquet de la chandelle ...
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