Va te faire foutre, Gerry !
Datte: 17/06/2020,
Catégories:
nonéro,
confession,
portrait,
historique,
historiqu,
Auteur: Brodsky, Source: Revebebe
... surprise de voir Gerry me tirer par la manche et me dire : « Viens, on va s’en jeter un dans un endroit plus calme ! » Je n’en revenais pas. (J’en reviens toujours pas, à vrai dire.) Comment ce type, qui était un héros pour son peuple, pouvait-il avoir envie de prendre une bière avec un gugusse comme moi sorti de nulle part ?
Je vais essayer de retranscrire à peu près la conversation qu’on a eue. Même si plus de vingt ans après, j’imagine que prétendre être exact dans les propos est une gageure. Et puis, j’étais tellement sur mon nuage, j’avais tellement idéalisé l’instant, qu’au fond, parfois, je me demande encore si tout cela est vrai…
— Je suis impressionné, Monsieur. Je dois avoir l’air stupide. C’est un honneur pour moi, vous savez…
— Et pour moi c’est quasiment un devoir sacré, répondit-il très sérieusement avec un éclat de rire dans le regard.
— Ne vous moquez pas… J’ai lu certains de vos livres. Vous êtes un héros.
— Qu’est-ce que c’est un héros, petit ?
— Ben… un homme comme vous, qui se bat pour son pays, qui risque sa vie et qui est prêt à la sacrifier pour la cause et pour ses camarades…
— Et tu veux faire partie du lot, pas vrai ?
— Bien sûr que je veux !
— NON !
— Hein ? Comment ça, non ? Je vous assure que…
— J’entends bien ce dont tu m’assures, mon gars. Mais NON !
— Je comprends pas…
— Gerry a dit… Collins a dit… Le général a dit… Et on y va… On va en taule pour la cause, on pose des bombes, on flingue, tout ça parce que « Gerry, Collins ou ...
... le Général ont dit ». Alors écoute bien ce que je vais te dire, petit : le mec qui fait cela parce que « Gerry, ou un autre connard l’a dit », ce n’est pas un héros, c’est un juste un imbécile.
— Mais… on a tous besoin de chefs… de leaders…
— On a besoin d’abord d’un cerveau. La cause que tu veux défendre, qu’est-ce que tu en sais ? Est-ce que tu la comprends vraiment ?
— Il me semble…
— Il te semble… C’est bien pour ça que je t’ai pris avec moi pour être à l’écart des autres. J’ai tout de suite vu que tu avais des yeux de fou.
— Des yeux de fou ?
— Ouais mon gars, des yeux de fou, ou de martyr, comme tu voudras… Prêt à mourir pour des choses qu’il ne comprend pas, prêt à foutre sa vie en l’air parce que les cadres d’un parti politique auront décidé pour lui de ce qui est bien et de ce qui est mal.
— Mais un militant, c’est un soldat… Bobby Sand…
— Bobby est mort.
— Il est devenu un symbole !
— Il est devenu un cadavre. Un putain de cadavre dont se repaissent les asticots. C’est ça qui te fait envie ?
— Je comprends rien… Vous avez écrit…
— J’ai écrit qu’il n’y avait aucun romantisme dans la guerre.
— Vous soutenez l’IRA.
— Je refuse de condamner leurs actions. Je n’approuve pas la lutte armée.
— Mais… pourquoi ? Les Anglais vous ont mis en taule, ils s’en sont pris à vos proches…
— Et alors ? Tu crois que c’est en tuant tous les Anglais d’Irlande du Nord qu’on va résoudre le problème ? J’en ai ma claque de voir des mômes de ton âge embrigadés dans le n’importe ...