1. Modern' Art


    Datte: 16/05/2020, Catégories: nonéro, Humour Auteur: Brodsky, Source: Revebebe

    Denis avait des ambitions politiques.
    
    Il s’ennuyait disait-il, dans son métier d’avocat au Conseil d’État et à la Cour de Cassation, et les élections municipales se profilaient. Le maire sortant était une bille, et Denis prétendait que même une chèvre pouvait gagner contre lui. Il envisageait donc de se présenter…
    
    On en avait parlé comme ça, à brûle-pourpoint, au sortir de la réunion du club de lecteurs qu’on fréquentait tous les deux, et j’avais tenté de calmer ses ardeurs. La politique, je connaissais, et pas qu’un peu… J’en avais fait des campagnes, en temps que tête de liste même, comme candidat des partageux. Belle expérience, passionnante certes, mais qui m’avait fait découvrir bien des choses et en particulier que le talent d’un candidat compte peu… Si le parti mise sur lui, s’il a les bons conseillers en communication et suffisamment de fric pour arroser les alliés et même ses pseudos adversaires, son élection n’est qu’une pure formalité, fût-il une chèvre.
    
    — Je voudrais que tu rejoignes mon état-major de campagne, me dit alors Denis.
    — Désolé, je ne fais plus de politique, ça m’écœure trop, j’ai déjà donné.
    — Tu veux que l’autre soit élu ?
    — Non…
    — Alors aide-moi, bordel ! Tu ne peux pas continuer à vivre en reclus au milieu de tes bouquins et te défiler sans cesse.
    — Qu’est-ce qui me donnerait envie de te voir élu toi, plutôt qu’un autre ?
    — Dumas.
    — Quoi Dumas ?
    — J’entends bien mener la fronde contre le Mazarin, et j’ai besoin d’Aramis.
    — Tu ...
    ... sais ce que ça lui a coûté à Aramis de faire confiance à Fouquet…
    — Ça, c’est dansLe vicomte de Bragelonne… Moi, je te parle deVingt ans après, et j’ai déjà mon Athos.
    — Allons Denis, tu rêves. Plus personne ne s’intéresse aux mousquetaires aujourd’hui.
    — Bien sûr que si… Un peu d’héroïsme, un peu de panache, ça vaut toujours la peine. Tu te lances dans la bataille, et tu es à nouveau vivant. JE SAIS que tu en meurs d’envie. Écoute un peu ton cœur, pour une fois.
    — Enfoiré de Gascon…
    — Alors, c’est oui ?
    — S’il y a des femmes et de la bière… Pourquoi pas !
    — Des femmes… Tu es marié je crois…
    — Bah, tu sais ce qu’on dit…
    — Oui, un renard prend toujours du plaisir à voir passer un poulet…
    — Même s’il ne peut pas l’attraper !
    
    J’ai dit oui…
    
    Denis ne m’avait pas menti, il avait vraiment son Athos. Maurice de Cavagnac, le châtelain du bled, un grand Monsieur dans tous les sens du terme. Un bon mètre quatre-vingt-dix, l’œil alerte, la moustache fine et travaillée, un vague sourire permanent au coin des lèvres, un air de Sean Connery au temps de sa splendeur. Lorsqu’il nous a présentés l’un à l’autre, on a eu la même réaction.
    
    Une sorte d’attirance mêlée de fascination… Qu’allaient donc bien pouvoir faire dans la même galère un des héritiers de l’ancienne noblesse d’épée du vieux pays de France, et un ancien communiste qui s’était fait connaître dans sa circonscription électorale pour avoir posé sur son affiche avec un couteau entre les dents ? Des miracles bien sûr, ...
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