1. Diogène versus Socrate


    Datte: 12/04/2020, Catégories: nonero, historique, délire, Humour Auteur: Brodsky, Source: Revebebe

    Il faisait un soleil radieux sur le forum d’Athènes, en ce début d’après-midi. Assis par terre au milieu de la foule tout en rongeant un os de poulet, Diogène écoutait attentivement le grand Protagoras discourir. C’était pour lui, chaque fois, un plaisir incomparable et stimulant que d’entendre cet homme parler pendant des heures pour ne rien dire. Protagoras ne disait rien, en effet, mais il le disait si bien… Et la magie chaque fois opérait. À la fin de son discours, le peuple rassemblé applaudissait à tout rompre l’orateur épuisé et ruisselant de sueur, qui venait d’expliquer qu’après la nuit venait le jour, que la pluie mouillait, ou que les femmes étaient inférieures aux hommes. Des évidences, certes, rien que des évidences… Mais quel art !
    
    Cela faisait un quart d’heure déjà que notre orateur tenait la foule en haleine, lorsqu’un petit homme, laid à faire peur, se permit de l’interrompre :
    
    — Ô Grand Protagoras, je te prie de bien vouloir pardonner mon retard, mais j’ai été retenu par des amis sur la place du marché. Pourrais-tu s’il te plaît, en quelques mots, me résumer ce que tu viens d’expliquer aux athéniens ?
    — Tu nous emmerdes, Socrate, répliqua alors Diogène. Tu n’avais qu’à arriver à l’heure. De quel droit te permets-tu d’interrompre un si beau discours ?
    — Cela ne devrait prendre qu’un instant. La pensée de Protagoras est-elle si confuse qu’elle ne puisse être résumée ?
    — Et toi, nabot ? Es-tu si occupé qu’il te soit impossible d’être à l’heure quelque ...
    ... part ? Demanderais-tu au soleil d’apparaître à nouveau sous prétexte que tu viens de rater son coucher ?
    
    Le pauvre Protagoras était livide. Il tenta de reprendre son discours, mais plus personne ne s’occupait de lui, tous étant désormais trop occupés à suivre la jouxte qui opposait Socrate à Diogène.
    
    — On ne peut comparer le soleil à Protagoras, Diogène. Mais je me demande si tes propos sont empreints de sottise, de basse flatterie, ou de cruauté.
    — En revanche, ton jeu est clair. Tu interromps l’orateur afin de le discréditer. Tu lui demandes de résumer sa pensée pour démontrer qu’il n’en a pas.
    — Ah, tu le reconnais !
    — Oui, mais je ne le juge pas. Il existe un art de ne rien dire, et j’aime les artistes.
    — Mais tu admets ainsi que Protagoras est à ranger parmi les artistes, et non parmi les philosophes.
    — Que m’importe ! Comme tous les gens du peuple, je suis venu écouter Protagoras parce que ses propos me charment et me permettent d’agréablement passer le temps.
    — Pitoyable Diogène… Je comprends mieux désormais comment un peuple entier peut se laisser aller à acclamer un démagogue comme Donald Trump.
    — Ah, je vois que le grand Socrate s’est encore laissé aller à consulter les oracles de LCP, La Calamiteuse Pythie. Mais dis-moi, toi qui juges si bien ton prochain, n’est-ce pas la jalousie qui te guide lorsque tu reproches aux autres d’être plus écoutés que toi ?
    — Je m’inquiète lorsque je vois les Athéniens préférer les discours d’un ignorant aux propos d’un ...
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