Les boyaux de la terre
Datte: 26/01/2020,
Catégories:
nonéro,
fantastiqu,
sf,
Auteur: Fisher, Source: Revebebe
... net notre progression.Ce mur noir était percé par une entaille, une cicatrise fissurée par les pauvres mineurs dont nous retrouvâmes d’ailleurs les cadavres déchiquetés plus tard dans notre exploration. Ce passage de fortune donnait alors sur un de ces maudits tunnels aux dimensions cyclopéennes dans lequel nous nous engouffrâmes telles des condamnées que nous étions vers l’horreur, les dégoûts et la mort.Ej-Aieb Keim um Yj-Aihyb Kalib
D’abord, d’abord il y eut l’angoisse sourde qui nous envahit toutes autant que nous étions. Une angoisse si froide et pesante que chaque ombre que projetaient les meubles étrangers sur les murs aux subtils motifs nous paraissait comme autant de visages grimaçant et se riant de notre funeste infortune. Des visages de goules, de guivres faméliques et de chimères impies.
Puis il y eut l’odeur. Une odeur écœurante portée par un vent souterrain soudain et glacial. Une odeur, maintenant je le sais, de chair décomposée et d’organes pourrissant dans les boyaux inhumains de la cité sans nom qui fut notre tombeau.
Enfin il y eut Eux. Eux, tapis dans l’obscurité. Eux, immenses et parcourant le silence. Eux, partout et nulle part à la fois. Eux, dont la voix, dans un coin de mon crâne, chante dans leur langue absurde une ode terrifiante et sublime à notre mort. Eux que nulle lumière n’aurait jamais dû éclairer.
J’ai fui, comme je fuyais la police dans les rues étroites de New Abidjan sur Indiana Prime. J’ai fui avec dans la tête le chant ...
... infâme et enivrant des choses étranges qui peuplent le souterrain du malheur. Pleurant, riant et trébuchant dans la boue grasse d’organes, de muscles et de sang de ceux qui sont morts dans les couloirs.
Et me voilà, là, seule, devant ce gouffre, tétanisée à l’idée de retourner sur mes pas, ou plutôt à l’idée de finir comme ont fini les colons et sûrement mes camarades. Je ne veux pas mourir, pas maintenant, pas comme ça, pas seule dans le sous-sol d’un monde qui n’est pas le mien. Je veux vivre, retourner dans mon miteux petit appartement que j’ai toujours haï, visiter la Terre, ses cités englouties et les monuments des premiers peuples. Je veux connaître enfin l’amour, et pas seulement les simulacres de tendresse qu’on vit dans les mégalopoles surpeuplées. Je veux, je veux…Un bruit sur le côté m’arrache à mes songes. Le chant ignominieux résonne de nouveau dans mon cerveau apeuré, et je comprends que l’un d’eux est là, tout près. Une ombre massive et effilée émerge d’une des parois de la gueule béante qui me fait face. Je sens la peur comme un poignard de givre dans l’estomac tandis que je braque maladroitement la chose qui tranche les ombres.« Mon Dieu, si tu existes, qu’as-tu créé sur ce monde ? » Est-ce un obscur démon qui, dans sa funeste folie, conçut l’ignominie satanique qui fond vers moi ? C’est un spectaculaire blasphème, plus haut encore que deux hommes, dont le physique évoque l’union contre nature d’une puce et d’un arachnoïde à la carapace écarlate et rugueuse. ...