1. La madone des cités


    Datte: 16/01/2020, Catégories: ff, voisins, init, exercice, Auteur: Ortrud, Source: Revebebe

    En premier lieu, je ne suis pas une jolie fille ; maigre comme un chat, le crin rebelle et la peau cuite. On peut m’habiller avec un sac ou avec un cornet de papier, c’est la même chose.
    
    D’ailleurs, je n’aime pas m’habiller. Je n’ai rien à mettre en valeur ; le mauvais caractère, ce n’est pas la peine de le mettre en devanture.
    
    Ma belle-mère me regarde toujours en me disant :
    
    — Ma pauvre petite, mais qu’est ce qu’on va faire de toi ?
    
    Il faut dire que je ne suis pas non plus un génie ; l’école et moi, ça fait deux mondes à part. Le mien, c’est l’air libre mais, à part les écorchures et les gros mots, je n’y apprends rien de plus. Tant pis pour la poésie des grands espaces, le lyrisme des blocs d’immeubles et les revendications des costumes-cravates.
    
    Pour autant, je ne fais rien de mal, les garçons ne me regardent pas, je peux glisser, marcher et même faire du roller, on m’embête pas ; j’ai les cheveux courts, un blouson et vaguement un pantalon de garçon, j’ai pas besoin de me rouler dans une mini jupe et de mettre des petits hauts pour mouler je sais pas quoi.
    
    Les filles ? Elles m’embêtent, et tout le monde m’embête, elles me bouffent la lumière, oui, d’accord pas la grande lumière des reportages de Thalassa avec plein de couleurs et des gars qui se battent pour sauver le monde en bateau. La lumière, c’est toujours un peu caché par une tour, une barre, un bloc, une poubelle, un car de flics ou la fumée d’une bagnole qui crame.
    
    Mes vieux ? Ma mère a ...
    ... taillé la route quand j’avais deux ans, qu’on dit, et ma belle-mère est venue sur le tard, j’avais sept huit ans, la famille classique quoi, comment on dit, recomposée ? Elle a amené avec elle sa fille et le môme que mon père lui avait collé dans le ventre.
    
    Pour autant, je feignasse pas, je bosse dès que je peux. Je tiens pas les murs. Il y a des tas de trucs à faire, même quand on a l’esprit en friche. Y a toujours un gars qui a besoin d’un coup de main en douce, et à force de me rendre utile, on me connaît. Par exemple, Barnabé, le coiffeur, je lui nettoie son magasin ; qu’est ce qu’ils laissent comme pellicules ses clients. Et Karim, le transporteur, faut toujours ranger les caisses vides, coller de la sciure sur les taches d’huile, et Odette, la dame du troisième qui a eu un accident, elle peut pas bouger pour des mois, c’est bête, elle est bien fichue, mais là, elle sert plus à rien ; son mari, enfin, son type, je crois bien qu’il va fréquenter ailleurs. De là qu’il se barre avec une n’importe quoi, y a pas des kilomètres.
    
    Alors, Odette, je lui tiens compagnie, et puis, je lui fais un peu du ménage, la vaisselle, je lui cale son oreiller. C’est drôle, elle sent bon, même couchée. D’habitude les malades ça sent l’aspirine et la sueur, elle, elle est fraîche. Je lui raconte tous mes petits événements, ça la fait rire.
    
    Dans une cité, faut pas croire, il se passe beaucoup de choses, mais on fait pas attention, parce que c’est tout gris, ça brille pas. Je parle pas des ...
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