En millions de bulles
Datte: 14/01/2020,
Catégories:
nonéro,
mélo,
merveilleu,
contes,
Auteur: Kaos, Source: Revebebe
Le fleuve charrie son eau lourde, sale, sombre. Il n’y a pas de couleur définissable, juste des nuances de gris, des niveaux de triste.
La jeune fille est là, sous la première arche du Pont. Attentive aux bruits, aux soupirs de la Seine, elle guette sa colère, son grondement, cet instant où en un fracas démentiel la rivière, en rage, l’engloutira. Mais il ne se passe rien, comme à chaque fois, comme toujours, comme d’habitude.
Pour seuls cris, il y a le hurlement des voitures qui passent en trombe dans leur flot constant, il y a les bus qui klaxonnent, les passants pressés. Le quotidien en somme.
Les cheveux noirs, assez grande, elle rajuste son blouson de cuir, un vieux perf’ qu’elle traîne depuis tant d’années, et elle repart vers ses quartiers. Son rituel quotidien. Devenir l’eau, c’est ce qu’elle voudrait. Se laisser porter par elle, s’y mélanger en une ronde tendre et sauvage, exploser en millions de particules, et retourner vers la mer. Ou bien, s’évaporer en un nuage, et pleuvoir sur la Terre, en larmes douces et chaudes.
Mais non, la vie s’obstine.
Ses yeux verts sous son maquillage noir regardent l’embarcadère des bateaux mouches. Des touristes gais et pressés s’y agglutinent, troupeau insouciant qui va s’évader quelques heures le long des berges. Il y a de tout. Des japonais aux appareils en bandoulières, des allemands rouges et bavards sous le soleil du printemps, des italiens volubiles, un ou deux suisses ponctuels, et deux maliens riches qui se ...
... demandent pourquoi les charters existent.
Elle aussi rêve de s’évader, peut être de s’envoler loin, ça date pas d’aujourd’hui.
Elle était gamine.
Avec sa classe.
Une visite des monuments parisiens. L’ennui terne qui suit l’excitation du départ. Bien sûr le maître est passionnant, mais à neuf ans il y a un moment où les explications lassent et l’enfant devient rêveur ou chamailleur. Le rêve prend forme pour elle, d’un pont. Un grand pont de pierre, presque blanc, taché de coulures noires, aux tours crénelées à travers lesquelles les autres se penchent pour regarder le fleuve, ou cracher dedans pour rigoler.
Mais, la fillette ne voit rien d’autre que le monument majestueux. Un hommage au temps, un point de passage entre deux mondes. Bien sûr, c’est inconscient, c’est fantasmé, c’est une vision de gamin.
Elle le franchit respectueuse, impressionnée par la majesté, et soudain c’est…
Un Paris tout autre. Des gens habillés de couleurs vives dansent, chantent et sourient. Les voitures sont devenues des charrettes tirées par des chevaux. Une femme, magnifique dans sa robe de dentelle et de taffetas, déambule indifférente aux regards des autres. Une coiffure blonde faite de tresses, de pierres précieuses et de plumes, que surmonte un diadème. «Une princesse » songe la petite «une vraie !».
La femme la regarde, soudain. Ses yeux d’un bleu céleste ne sont que douceur et amour.
— Comment te nommes-tu jeune fille ?
La petite, surprise, reste bouche cousue. Une ...