Jeux de miroirs
Datte: 12/01/2020,
Catégories:
sf,
fantastiqu,
merveilleu,
fantastiq,
merveille,
Auteur: Jean de Sordon, Source: Revebebe
... changé. Grand jour, des soldats, des ordres jetés d’une voix forte, une brève poursuite.
Je me suis endormi à nouveau.
À nouveau ce rêve. J’étais lui, j’étais moi. Je crois que l’homme de mon rêve n’est autre que Jacques Roll. Il dort, des hommes entrent silencieusement dans la pièce où il repose et le secouent, il ouvre les yeux et se souvient qu’ils viennent le conduire à la mort. Il tente de retourner dans les Territoires mais…
Je me dresse sur le lit. Marie-José a reculé devant mon regard de folie. Il m’a fallu quelques secondes pour séparer ici-maintenant et le rêve.
— Qu’est-ce qui se passe ?
— C’est… papa, me dit-elle.
Elle est blême.
— Il est mort.
Je saute dans mon pantalon et la suis jusque dans la salle. Un homme est assis devant la table. Il parle, parle, trop vite pour rester bien compréhensible, avec des mots de yiddish et un effroyable accent est-européen aggravé par une vaste méconnaissance du français. Un petit personnage plutôt comique : bas du cul ; du ventre et pas de cou, le nez chaussé de petite lunettes rondes et le crâne largement déplumé. Agité comme une puce en dépit de son embonpoint, toujours en train de se gratter le nez, la nuque, le crâne, reniflant, remuant la tête, mordant ses lèvres… Je parviens à saisir à travers son parler aussi confus qu’un barbotage de canards dans une mare que Jacques Roll a été capturé par les russes, trois semaines plus tôt et passé par les armes dans les jours qui ont suivi. Les Alliés ...
... n’oubliaient pas que cet homme hors du commun leur avait mystérieusement faussé compagnie déjà une fois et, cette fois, ils ne lui avaient pas laissé la moindre chance d’utiliser ses supposés pouvoirs magiques. Gardé à vue, assommé par une forte dose de chloral, Jacques Roll n’avait certainement même pas eu conscience d’être conduit au lieu de son exécution.
En écoutant ce récit, je suis frappé par la coïncidence de mon rêve et de la réalité et j’en ai froid dans le dos.
Le petit homme dépose sur la table divers effets personnels : tout ce que je connaîtrai jamais d’un père à présent enseveli quelque part dans la taïga.
Notre visiteur toussote pour dissimuler son émotion, tandis que nous touchons du bout des doigts ces reliques. Pas même une lettre. Abruti par la drogue, le «mage» est parti sans un adieu.
L’homme se racle la gorge.
— Ikh, Arthur Sknocher… C’est moi, mon nom… Je appartenir… dos biuro… euh comment dire ? Bureau Directoire de Steel Company. Sekretar. Okay ? Près… euh… der balebos, chef, grand patron, Pieyre Roll.
— D’accord. Vous êtes le secrétaire de Pieyre, reformule Santos.
— Yo. Monsieur Roll appelle der advokat et il dire : mon frère parti, caché… efsher Africa, efsher mizreckh, pas savoir. Jacques Roll mal agi, trahi dos folk, mal parlé, shlekht !….
Nous acquiesçons, nous demandant où il veut en venir.
En même temps j’éprouve une impression curieuse, intense, d’une présence tout près de moi. Je tourne la tête mais il n’y a personne bien ...