1. Dulies et cavatines


    Datte: 23/12/2019, Catégories: poésie, conte, Auteur: Igitur, Source: Revebebe

    ... lisait les avis du libraire, griffonnés sur des post-it. Elle observait la mine réjouie des auteurs sur les photos. Elle dévisageait avec envie les lecteurs qui se délectaient de quelques pages. Elle était à l’affût de leurs regards enchantés, de leurs sourires admiratifs, de leurs bouches bées. Son cœur battait plus fort lorsqu’au détour d’une lecture elle voyait poindre une larme dans l’œil d’une lectrice, ou se dresser une érection dans le pantalon d’un lecteur. Elle aurait bien voulu, l’histoire que personne n’avait jamais vécue, provoquer aussi de jolies émotions ; des désirs érotiques ; des montées d’adrénaline ; de fières bandaisons ; des frissons dans l’échine ; même des "oh" d’indignation pour un détail hors-charte lui auraient donné le sentiment d’exister.
    
    Parfois, en se promenant solitaire, l’histoire rencontrait de ces mauvaises blagues qui se colportent à tous les coins de rue et qui exhalent des relents de bière et de vin rouge à force de frayer avec les brèves de comptoir du Café du Commerce. Elle regardait passer les vies rêvées, les utopies, les contes de fées dans leurs costumes amidonnés sans un faux pli, leurs parures de strass brillant de mille feux ; de ces histoires pleines de détails croustillants et d’anecdotes enchanteresses qui snobent les mésaventures, les rencontres d’un soir, les passades, qui méprisent les épopées, les sagas, les récits picaresques et qui traînent à leur suite des adolescences boutonneuses, des crises de la quarantaine, ...
    ... des frustrations abyssales.
    
    Parfois, au désespoir, elle rôdait avec des publicités commerciales, des annonces, des réclames outrageusement fardées, parfumées de fragrances capiteuses, court vêtues pour laisser voir assez de leurs charmes sans dévoiler la fatigue des abus des rencontres d’un soir, des orgies tapageuses, des racolages sur les boulevards de la grande ville. Ou encore, quand elle en rencontrait, elle aimait déambuler les soirs d’été avec des goualantes réalistes, un peu dramatiques, un peu canailles qui lui apprenaient le jar des bas-quartiers, le largonji des ruelles mal famées. Ça la consolait de sa tragédie insipide et banale.
    
    Par un doux soir d’été alors que les mésaventures se pavanaient avec des airs de grande épopée sur les boulevards, l’histoire que personne n’avait jamais vécue s’était laissé approcher par un auteur en mal d’inspiration, sur un quai du grand fleuve au cœur de la grande ville. C’était un escogriffe maigrichon, la barbiche coupée en pointe, les ongles rongés par l’angoisse de la page blanche. C’était un poète rêveur au teint pâle, mal taillé pour l’aventure, dont les rimes rechignaient à dire quoi que ce fût d’intelligible.
    
    À tout hasard, l’histoire que personne n’avait jamais vécue lui dévoila un peu son épaule, en guise d’incipit. Alors le poète en lui prenant la main trouva une belle rime un rien mélancolique. Heureuse, l’histoire que personne n’avait jamais vécue se laissa faire, sans plus l’encourager. Et le poète inspiré eut ...