1. Quarante textes sur la laideur et autres féroces amusements


    Datte: 28/08/2019, Catégories: bizarre, laid(e)s, collection, humilié(e), nonéro, exercice, portrait, Auteur: Raphaël Zacharie de Izarra, Source: Revebebe

    ... il me fallait un autre passe-temps pour satisfaire mes sens émoussés.
    
    Je ne manquais jamais une occasion de faire battre mon cœur carnassier sur le dos de cette bossue dépravée. Précisons que cette gueuse était incroyablement stupide et foncièrement méchante, ce qui me dédouanait complaisamment. Les rires cruels que je lui destinais, moi seul pouvais les savourer. Oisif insolent et dandy rompu aux vices mondains, j’avais besoin d’exotisme, de piment pour mon âme en quête de nouvelles ivresses.
    
    Discrètement je la regardais passer sous ma fenêtre avec sa bosse sur le dos. À travers les rideaux de soie qui me préservaient de la vulgarité du dehors, elle paraissait comme un suaire : affreuse et morbide. Maquillée de manière outrageuse, une cigarette bon marché entre les lèvres, elle était plus laide que jamais. Sa toilette d’un goût douteux trahissait des mœurs éhontées. Je l’entendais maudire les hommes, les femmes et les chiens errants. Elle insultait, crachait, aboyait.
    
    Entouré des lambris recherchés de ma demeure, la contemplation de sa laideur me comblait de satisfaction. Cette femelle déchue réunissait en elle toutes les infirmités humaines : c’était un chef-d’œuvre de désolation, comme un champ de bataille après le combat.
    
    La défaite, l’ombre et l’abîme peuvent être choses émouvantes, belles à mettre en scène sous forme de musique, de mots, d’images… L’évocation de la mort n’est-elle pas exquise lorsque l’artiste en fait un requiem ? La misère n’inspire-t-elle ...
    ... point les peintres ? Le "Radeau de la Méduse" peint par Géricault finirait de convaincre mes détracteurs, si j’en avais encore. De même la tristesse inspire l’archet du violoniste mieux que ne saurait le faire la plus sincère allégresse.
    
    Bref, j’avais trouvé là la muse hideuse nécessaire à mon inspiration d’esthète. Et je chantais, chantais, chantais à n’en plus finir sa laideur, ses vices et sa sottise…
    
    Et mon chant de sybarite prenait la forme de railleries, de quolibets, de sarcasmes, de traits d’esprit fins, joyeux, redoutables… Et infiniment divertissants.
    
    Autrefois c’était une créature. Jeune, grande, blonde, belle, radieuse.
    
    C’était il y a très longtemps. Elle se remémore le temps béni de sa jeunesse où le Ciel venait lui baiser les pieds. Elle se revoit au temps où elle était cette femme : une princesse, un astre, un cygne… Elle a un sourire désabusé en se regardant dans le miroir, pleurant sa beauté perdue, maudissant son reflet. Des rides profondes marquent sa face. Son visage est une grimace hideuse. Son sourire une plaie. Sa silhouette un spectre.
    
    La fleur est fanée. Son éclat l’a quittée depuis plus de cinquante ans. Ce qui équivaut à un siècle pour une femme qui fut si belle. Aujourd’hui elle a quatre-vingt-dix ans et elle est laide malgré son maquillage. C’est son miroir qui le lui crie, le lui répète à chaque seconde. Elle est vieille et laide, c’est une évidence. Nul besoin de se farder pour en être convaincu.
    
    L’astre éblouissant qui a fait ...
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