Quarante textes sur la laideur et autres féroces amusements
Datte: 28/08/2019,
Catégories:
bizarre,
laid(e)s,
collection,
humilié(e),
nonéro,
exercice,
portrait,
Auteur: Raphaël Zacharie de Izarra, Source: Revebebe
... les beaux jours de l’amour est mort. L’étoile qui a brillé si fort s’est éteinte. Le soleil qui fut jadis splendide s’est définitivement couché. Il ne réapparaîtra plus. Dans un geste héroïque et pathétique, dérisoire et beau, la vieille femme fixant éperdument son visage dans la glace lève son verre avec un air plein de défi… Ses doigts osseux étreignent avec rage la coupe exhalant des parfums de ciguë.
Elle lève son verre à sa mort prochaine.
Elle était aimable, vertueuse, fort intelligente, cultivée, douée pour les Arts, les sciences, et même pour la cuisine, mais affligée d’une rare laideur. Nul ne la courtisait, à part ses précepteurs et son curé car, rappelons-le, c’était une femme éprise de connaissances et de religion. De plus ces commerces étaient assez chastes, on le conçoit.
Il ne lui restait que le bedeau pour satisfaire ses aspirations amoureuses. Lui-même, bien qu’il fût l’idiot incontesté du village, n’en était pas moins agrégé de philosophie, pédant à l’envi, hérétique faute de mieux et foncièrement mauvais. Mais surtout, aussi contrefait qu’elle était repoussante.
Elle lui offrit son cœur. Il le refusa, préférant prendre son hymen. Après moult hésitations elle finit par accepter de se faire déflorer les voies vaginales par l’agrégé moyennant la conversion de ce dernier à la cause pie. Le marché ne déplut point au paillard. Après un mariage sans faste ni dépens, elle devint acariâtre, sotte et fielleuse, délaissant Arts et sciences, et même ...
... religion.
Au bedeau mariée, de ses livres séparée, de son amabilité débarrassée, mais toujours aussi laide elle était.
Du jour au lendemain, je m’épris de la fille du maire. Non qu’elle fût particulièrement jolie, vertueuse, spirituelle ou aimable… Bien au contraire. Elle était à l’extrême opposé de telles qualités. Elle était surtout une source inépuisable d’explorations littéraires pour moi. Une muse maudite en quelque sorte. Elle savait m’inspirer les plus beaux textes.
À ses côtés, ma plume s’éveillait comme par enchantement, plongeant avec une insatiable frénésie dans quelque abîme fécond de son être. Je devenais papillon aux ailes vénéneuses, puisant chez cette créature trouble mon suc quotidien. Je m’abreuvais de sa fange, et lui restituais une exquise pourriture. Elle lisait avec délectation et sotte gravité mes textes, flattée de se savoir l’égérie d’un si estimable peintre des âmes.
Sous ma plume odieuse, j’accentuais ses défauts, lui faisais endosser les pires forfaits, la grimais de mille façons infâmes. Elle était ravie : c’était la première fois qu’on lui parlait d’amour.
Je finis par l’aimer avec une sincère cruauté : sa laideur, sa stupidité, sa méchanceté, ses vices m’étaient trop chers pour que j’acceptasse de voir un jour fleurir ce chardon. Il fallait que j’entretienne la friche, sous peine de stérilité littéraire.
En faisant de la fille du maire la plus grosse cloche de la contrée, mes mots pour la raconter n’avaient jamais aussi bien ...