1. Un éléphant chez les événementiels


    Datte: 08/03/2018, Catégories: nonéro, Humour merveilleu, sorcelleri, merveille, Auteur: Jean de Sordon, Source: Revebebe

    ... concierge, qui aimait bien Bertrand, était désolé :
    
    — C’est à cause de ce que vous avez raconté. Vous pensez bien que ça a fait le tour de Houdin dans le temps d’un battement d’ailes. Il y a ceux qui disent que l’on devrait vous noyer le plus vite possible parce que vous êtes un danger public. Il y a ceux qui disent que vous êtes un imbécile. Eux pensent seulement vous chasser de Houdin après vous avoir ôté tout souvenir de ce que vous avez vécu ici.
    — Et pour Alice ?
    — Pour elle, confia Jean Charon, les avis convergent sur : retrait de ses pouvoirs et expulsion de Houdin.
    — Mais nous n’avons enfreint aucune loi ! s’indigna Bertrand.
    — C’est au Recteur qu’il faudra le dire, répondit le concierge.
    
    Pour les étudiants, le Recteur demeurait une redoutable énigme. On savait seulement qu’il occupait une maisonnette proche de la Poterne. On ne le voyait jamais, sauf affaire grave. Et la plupart du temps, les étudiants amenés à rencontrer le Recteur ne réintégraient jamais leur session : expulsés de Houdin ou pire…
    
    En ce qui le concernait, Bertrand prenait les choses avec une certaine distance : pendant quarante ans, il avait vécu une existence paisible, sans Événementiel. S’il devait retourner demain à cette vie… eh bien, il y survivrait.
    
    Et s’il devait mourir… Nous devons tous partir un jour, n’est-ce pas ?
    
    Mais quand il pensait à Alice… Cette jeune existence, ses beaux projets, sa joie de vivre, fauchés, anéantis par sa faute à lui, parce qu’il n’avait pas su se ...
    ... taire… Là, ses poings se fermaient d’eux-mêmes et il se sentait capable de tuer.
    
    — Je n’ai pas peur, dit Alice au moment où la barque volante s’immobilisait au-dessus de la plage.
    — Il ne faut pas, répondit Bertrand. Cela ne change rien à rien.
    — Ce n’est pas cela. Je sais, d’une façon que je serais incapable d’expliquer, que tout finira bien.
    
    Bertrand nourrissait pour sa part une vision bien plus pessimiste du proche avenir mais pour rien au monde il n’eût touché aux illusions d’Alice : avoir peur, c’est souffrir deux fois.
    
    — Je vous dis vous savez quoi, déclara Jean Charon au moment où ils descendaient de la barque.
    
    Bertrand se retourna :
    
    — Vous savez pourquoi nous sommes convoqués chez le Recteur mais qu’en pensez-vous, Jean ? Je veux dire : cela vous choque d’imaginer qu’un jour, peut-être, tout un chacun pourrait devenir un É ?
    
    Jean Charon ne réfléchit qu’un instant :
    
    — Ma foi, je dois dire que ça fait bizarre de penser à ça. Je veux dire : nous nous sommes toujours définis par rapport aux Non-É. Alors, imaginer que subitement ils n’aura plus de « eux » et de « nous »…
    — Alors, si vous étiez le Recteur ?..
    
    Cette supposition fit sourire le concierge.
    
    — Il y a des moments, et celui-là en est un, où je suis bougrement content de n’être que Jean Charon le concierge. Si j’étais le Recteur, je crois que j’effacerais de la mémoire de tout le monde cette fichue commande que vous pensez avoir trouvée. Oui, c’est ce que je ferais.
    
    * *
    
    *
    
    — Je ...
«12...5678»