Perdu dans les contrées barbares
Datte: 21/07/2019,
Catégories:
fh,
nonéro,
amourpass,
Auteur: Brodsky, Source: Revebebe
... un lieu encore épargné par cette folie. Mais comment faire ? Son employeur était ici, et son salaire également…
Cette vieille chanson résonnait chaque jour dans sa tête…
Il se sentait comme un exilé, un réfugié dans sa propre maison. Et chaque nuit, les cauchemars succédaient aux cauchemars.
Son emploi lui-même n’avait plus aucun sens. Sourire… Il était payé pour sourire. Chaque jour, il recevait dans son bureau les cocus de partout, légitimement furieux, prêt à tout casser, et il avait ordre de ne rien faire pour eux, sauf de leur sourire, de les rassurer, de les caresser, de les calmer pour que le monde puisse tranquillement continuer de les dépouiller avant de les emmener à l’abattoir. Il devait leur sourire lorsqu’il les voyait pleurer, leur sourire lorsqu’ils se mettaient à l’insulter, ne pas répondre aux injures, et il était jugé comme responsable si l’un d’eux devenait violent et balançait un coup de poing.
— À votre avis, qu’avez-vous dit ou fait pour qu’il en arrive à cette extrémité ? avait demandé le psy payé par l’entreprise lorsqu’il l’avait consulté.
— J’ai appliqué les consignes.
— Non, si vous les aviez appliquées, il n’y aurait pas eu échange de coups. Vous devez accepter vos responsabilités.
Il était sorti de là avec la haine au ventre, l’envie de poser des bombes, conscient qu’il fallait taire ce qu’il ressentait, au risque de perdre le peu qu’il lui restait.
Ce soir-là, il avait allumé le poste de télévision en rentrant chez lui et ...
... regardé les sept cavaliers de l’apocalypse des primaires de la droite faire leur show à la télévision. Il les avait vus prétendre que l’on pouvait très bien vivre avec moins de 800 euros par mois, étant donné que le prix du pain au chocolat était de 15 centimes. Que pour faire baisser le chômage il fallait supprimer entre 300 000 et 500 000 postes de fonctionnaires, dans l’éducation, dans les hôpitaux, partout, sauf chez les poseurs de contraventions. Et que le burkini mettait la République en péril…
Pas un mot sur la montée des eaux des océans, sur les dérèglements climatiques et les 250 millions de réfugiés qui seraient bientôt sur nos routes, sur les 9 millions de pauvres dont il faisait désormais partie, sur l’explosion des maladies professionnelles que causaient la peur du déclassement et le management par le stress.
Orwell avait imaginé cela pour 1984. Il avait juste un peu d’avance…
Ce soir-là, il avait vomi trois fois et passé une nuit blanche supplémentaire.
Lorsqu’il se réveilla, il regarda cette femme qui semblait dormir si paisiblement près de lui. Ses traits étaient doux, sa peau appelait ses mains, ses seins débordaient de sa nuisette. Il eut envie de la caresser tendrement, de lui faire l’amour. Mais il se retint, soucieux de la préserver, de ne pas la réveiller. Il se leva sans bruit et enfila un pantalon et une chemise de laine. Il alla dans la cuisine pour se faire couler un café. Il alluma l’ordinateur et consulta ses mails. Dehors, le bruit ...