Rencontre
Datte: 13/06/2019,
Catégories:
nonéro,
sf,
Auteur: Hidden Side, Source: Revebebe
... cet endroit, c’est les pieds devant !
D’une main tremblante, Gatimel se resservit à nouveau. Les dernières gouttes de vin se répandirent tout autour de son verre. Sur la surface granitée de la petite table qui les séparait à peine avaient éclos comme des taches de sang.
Pichon, lui, n’envisageait pas une picoseconde le moindre atermoiement. Baisser les bras, c’était prendre le même chemin que ce pauvre hère de Gatimel face à lui. Il fallait qu’il trouve des similitudes, des recoupements entre leurs deux expériences de cet incroyable phénomène. C’était le seul moyen de comprendre ce qui leur était arrivé ! Il fallait…
— Bon, allez, salut la compagnie ! fit Gatimel, en se redressant gauchement sur sa chaise.
— Non, attends ! Lucien ! s’alarma le comptable, craignant de voir s’enfuir, avec l’ivrogne, sa dernière chance de se tirer de là.
— J’ai p’us rien à ajouter, votre honneur. Et pis, la bouteille, elle est vide, bafouilla le poivrot, en cherchant à se soulever de son siège.
— Mais attends, Bon Dieu ! Comment je fais pour te retrouver, moi ?
— Ben, c’est ça, le truc… hic ! Tu m’oublies ! lui jeta-t-il, le regard vague et les yeux mi-clos.
Pichon, en désespoir de cause, tira une carte de visite de son portefeuille et la tendit à Gatimel :
— Tiens, prends mon numéro… et surtout, garde-le avec toi !
Le clodo le regardait sans plus de réactions qu’un poisson-chat face à une enclume. Pichon, impatienté, finit par fourrer lui même le bristol dans un des rabats ...
... de la veste défraîchie du poivrot.
— Est-ce que c’est bien clair ? Tu m’appelles très vite ! le pressa-t-il.
— C’est ça… dès qu’j’y pense, j’te passe un coup de portab’, grimaça l’autre.
— Nom de Dieu, Lucien ! Il faut qu’on reste en contact, c’est très important !
— Je crois pas, non… On vient p’têt’du même univers, mais on vit pas dans le même monde… jeta Gatimel, avec une lucidité paradoxale.
— Attends-moi là, je reviens…
Pichon se leva et courut vers le comptoir. Il lui fallait une carte téléphonique, d’urgence. Il tendit impatiemment un billet de dix euros au tenancier, puis, sans attendre sa monnaie, se rua en direction de la terrasse du café, la télécarte à la main.
Trop tard ! Il n’y avait plus personne à leur table. Pichon scruta les environs, sans résultat. Gatimel s’était tout simplement fait la malle… Le comptable, désappointé, craignait de ne plus jamais le revoir.
Ce en quoi il se trompait.
Pichon se sentait plus déprimé qu’autre chose. À peine éclos, l’espoir que lui avait inspiré cette improbable rencontre avait été promptement anéanti. Ce compatriote, transfuge comme lui d’une autre réalité, tenait plus du naufragé à la dérive que de la planche de salut.
La leçon que Pichon tirait de sa rencontre avec Gatimel était cependant limpide. Suivre son exemple n’aboutirait qu’à une seule chose : se bousiller inexorablement l’existence. La façon dont ce pauvre bougre avait réagi à son transit inopiné constituait un enseignement saisissant sur ce ...