1. CHAPITRE 17 : Fin


    Datte: 27/02/2018, Catégories: Entre-nous, Les hommes, Auteur: Cramache, Source: Hds

    La vie, même la plus heureuse, a toujours une fin. La mienne a connu des hauts et des bas, et je n’ai aucun regret. J’ai trouvé l’amour auprès d’un homme merveil-leux, cela a duré plus de quarante ans. Jusqu’à la fin, il m’a rendu meilleur que je ne le suis vraiment. Notre séparation, bien des années auparavant, n’a jamais compté. Sylvain m’a comblé de toutes les façons possibles. Nous avons adopté un petit garçon qui a grandi, et est devenu un homme accompli. Il a fait de bril-lantes études d’ingénieur, s’est marié et nous a donnés deux magnifiques pe-tites-filles. L’assassin de ses parents a été arrêté après une longue recherche, il a écopé d’une peine de prison à vie.
    
    Samuel, après cette décision de justice et un long procès, a pu enfin tourner la page. Cet enfant a été le soleil de nos vies, tout comme les trente-sept autres que nous avons accueillis. Chacun d’eux nous a apportés quelque chose, en bien ou en mal. On a dû renvoyer certains enfants parce qu’il était impossible pour nous de veiller sur eux à cause de leur violence. Ces échecs ont lourdement pesé sur nos capacités, on a beaucoup douté. Mais, il nous suffisait de regarder Samuel pour nous rappeler qu’on n’était pas de si mauvais tuteurs. Certains des jeunes que nous avons reçus ont gardé le contact, et nous les considérons comme nos enfants. Chacun d’eux nous a envoyés des photos de leur famille.
    
    Toutes ces photos ont trouvé leur place sur nos murs, avec celles de notre vie à deux. Je suis fier de ce que ...
    ... nous avons accompli, mais nous avons dû cesser notre activité quand on est devenus trop vieux. J’ai aussi dû arrêter la menuise-rie, l’arthrite ronge mes doigts. Je ne peux plus tenir un rabot, et mon savoir faire se perdra à ma mort. Samuel n’a aucun talent pour le bois, malgré ses nombreuses tentatives. Ça m’attriste un peu, je sais aussi que tout ce que j’ai créé ne sera pas perdu. Notre fils a récupéré quelques meubles, et j’ai distribué le reste parmi nos autres enfants.
    
    J’ai maintenant plus de soixante-dix ans, et je regarde ces photos qui retracent ma vie. J’avale mon thé et mes médicaments. Dehors, il fait un froid de canard. J’enfile ma parka, et je prends la route du cimetière. Avec ce temps, mes os me font très mal, j’ai des difficultés à plier les doigts, et je grimace à chaque cahot de la route. Je me gare le plus près possible de l’entrée, et je me dirige vers elle d’un pas claudiquant. Je m’appuie sur ma canne, et resserre les pans de ma veste.
    
    Je remonte lentement l’allée gravillonnée pour ne pas tomber. Je croise de nombreux visiteurs que je salue sans bruit. Les arbres sont dépouillés de leurs feuilles, les quelques plantes laissées à l’abandon ont piteux état. La tombe se trouve au fond du cimetière. Je finis par l’atteindre, essoufflé comme toujours. Le marbre est gris veiné de noir avec deux vases pour accueillir des fleurs. Il n’y a aucune, pour le moment, c’est l’hiver. Je m’assois sur la pierre froide et je dépose un baiser sur mes doigts gourds ...
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