Brocante, caresses et photos numériques - Histoires de Sexe

Brocante, caresses et photos numériques

... Suisses en ont rapidement marre des bagarres sous leurs balcons, et changent leur système de ramassage. J’ai quand même le temps de faire quelques affaires et surtout de prendre goût à ce boulot. Au moment de voler de mes propres ailes, je décide de retourner dans mon patelin pour ne pas faire d’ombre à celui qui m’a sorti de l’ornière. C’est en partie à lui que je dois de ne plus avoir touché à l’alcool depuis ma sortie de l’hôpital.

— Combien vous les faites, vos livres ? demande une voix féminine qui me tire de ma rêverie.

C’est plutôt rare qu’une ado s’intéresse à mes bouquins. Surtout dans une brocante de province comme celle où j’ai planté mon stand ce matin. Elle doit avoir une quinzaine d’années. Mignonne, très mignonne même, avec un sourire craquant.

— Il y a de tout, ça dépend de ce qui vous intéresse. Vous cherchez quelque chose de particulier ?
— En fait, un truc pour l’anniversaire de ma mère.
— C’est quoi ses préférences, les voyages, les biographies, les histoires d’amour ?
— Plutôt la photo ou les romans. Elle aime assez les trucs déjantés, genre Boris Vian, si vous avez.
— Pas cette fois, mais j’aurais une histoire de maman qui ne trouve aucune place où poser ses petits secrets dans sa propre maison, ça irait ?
— C’est un livre, ça ?
—Le cahier interdit d’Alba de Cespedes. Pas tout récent, mais peut-être d’actualité pour votre mère.
— Vous pouvez me l’emballer discrètement ? Elle est en train d’arriver, dit-elle en jetant un regard ...

... par-dessus son épaule. Je reviens payer dans cinq minutes… mais pas un mot, hein !

J’ai à peine le temps de mettre le bouquin dans un sac en plastique, que la maman arrive à mon stand et se met à passer mes cartons de livres en revue, sans me prêter attention. Je la regarde un peu plus attentivement pour évaluer mes chances de vente, et là, mon cœur s’arrête de battre, mes poumons se vident, mes jambes lâchent et je m’effondre à l’arrière de ma camionnette.

Pourquoi maintenant, pourquoi de cette manière ? Je n’y arriverai pas, pas la force, impossible de me présenter à elle sans un minimum de préparation, de décorum. Mon visage et mon corps sont marqués par les années de galère, je ne ressemble à plus rien qu’elle puisse trouver à son goût, je vais lui faire peur. En plus, si j’essaie de parler, je n’arriverai qu’à proférer quelques onomatopées. Cette rencontre, cette unique et toute dernière chance de ma vie, va tourner à la débandade. Dix ans à tenter de sortir du trou, pour en être réduit à tout perdre en une fraction de seconde.

J’ai envie d’aller me cacher au fond de mon vieux Ford. Trop tard ! Elle a fini de fouiller mes cartons et me cherche du regard, un livre à la main. Pour gagner du temps, je continue à faire semblant de m’affairer derrière les portes de mon véhicule.

— Combien vous les faites, vos livres ? demande-t-elle d’une voix douce.
— Il y a de tout, maman, ça dépend de ce qui t’intéresse. Tu cherches quelque chose de particulier ? s’amuse à répéter sa ...