Le voleur d'âmes
Datte: 13/11/2019,
Catégories:
nonéro,
Auteur: Lilas, Source: Revebebe
... parc, Liana traîna un peu avant d’aller voir sa sœur, secrétaire à l’école de musique. Elle respira l’odeur piquante du sapin et du chêne, regarda son ombre s’allonger sur les gravillons de l’allée lorsqu’elle quitta le couvert des arbres ; malgré son déjeuner copieux, elle avait l’impression d’être très très légère dans l’espace.
Ses pensées furent soudain troublées par des bruits dans le parc. Des enfants, touristes probablement, jouaient à s’attraper sous l’œil vigilant de leurs parents.
Liana les regarda jouer un instant, avant de reporter son attention sur ce qui la préoccupait. L’ennui, c’est qu’elle ne savait pas exactement ce qui la préoccupait. Peut-être sa rencontre du jour avec M. Tomaze, ou bien l’idée d’avoir à passer toute une journée seule à se morfondre dans son abattement, ou encore son inquiétude quant au projet qu’elle avait mis en branle avec ses illustrations. Elle n’était plus aussi sûre de vouloir continuer. Tout lui paraissait soudain absurde, futile. Artificiel.
Liana s’arrêta sur les marches de l’école de musique. Une boule oppressante s’était formée quelque part entre sa gorge et sa poitrine. Artificiel.
Tout cela était tellement évident. Comment un homme comme Tomaze aurait-il pu s’y laisser prendre ?
Tout était faux-semblant chez Liana, au point que l’on pouvait se demander s’il lui restait une mince part de spontanéité. Hormis pour les crises de nerfs.
La jeune fille se souvenait avec honte de sa première rencontre ...
... avec l’écrivain. Et ce qu’il lui avait dit. Que tout en elle transpirait le mensonge et la dissimulation. Et il avait raison. Artificielle, elle l’était. Son assurance était artificielle. Sa nonchalance, son ironie, artificielles. La solidité de sa vie bien réglée, artificielle. Ses projets à long terme, ses goûts, ses occupations. Artificiels. Recouverts d’assez de vernis pour repeindre une maison. Sa vie entière était artificielle.
Quel moyen avait-elle pour aller contre les préjugés que les gens avaient sur elle ? Toute sa personne était un mensonge grandeur nature ! On ne pouvait que se faire des idées fausses sur elle, et c’était elle-même qui était responsable de cet état de fait.
Et le plus douloureux dans l’histoire, c’est que Liana ne se comportait pas ainsi parce que sa nature l’y encourageait… tout cela se balançait entre le choix et l’obligation.
Droit, devoir. Elle se rendait artificielle pour se protéger. Protéger ce qu’elle pensait, ce qu’elle voulait, ce à quoi elle aspirait. Protéger ce qu’elle était. Paraître pour être. Être ce qu’elle paraissait. Car à force de s’acharner à faire oublier aux gens sa nature profonde, ne finissait-elle pas par l’oublier elle aussi ?
Toute sa vie présente n’était qu’un panache de fumée pour tromper la vision des gens. Et elle se trouvait prise au piège de sa propre illusion. Qu’avait-elle fait de la Liana d’avant ?
Son âme avait-elle déserté son corps ?
Et s’était-elle toujours sentie aussi…vide ?