1. Ce que je suis (1)


    Datte: 09/08/2019, Catégories: Lesbienne Auteur: Orchidée, Source: Xstory

    ... nanas en train de fumer sur le trottoir annonçait la couleur, le 3 W Kafé, ouvert tous les jours de 17 heures à 2 heures, était considéré comme le lieu de rendez-vous incontournable des lesbiennes. Je lui répondis par circonspection sur le ton de la confidence pour ne pas froisser certaines à l’écoute, les étudiants étaient censés avoir l’esprit ouvert. La densité du petit groupe ralentit notre allure voulue tranquille pour ne pas attirer de réflexions.
    
    – De réputation.
    
    Des sourires agrémentés de quelques « salut les filles » célébrèrent notre passage. On aurait pu pousser plus loin la recherche d’un endroit où finir la soirée, mais les notes de house musique retinrent notre attention. Après tout, on ne risquait rien à y boire un verre sans avoir à subir le harcèlement des mecs. La paume de Chloé moite contre la mienne, je l’attirai dans le bar cosy aux lumières tamisées.
    
    – Il y a du monde, s’étonna ma complice à haute voix afin de se faire entendre dans l’ambiance sans chichi. Je ne pensais pas…
    
    – Bonsoir, l’interrompit une barmaid d’une trentaine d’années au sourire engageant, qu’est-ce que je vous sers ?
    
    On se laissa tenter par la bière pression à un prix raisonnable. C’est bizarre mais je me sentis rapidement en confiance malgré la particularité du lieu. Peut-être que si l’une de nous avait été seule, les choses auraient été différentes ; de plus, venir à deux laissait présumer que nous formions un couple. Seule la serveuse nous décocha une œillade ...
    ... accompagnée d’un sourire, comme si elle avait deviné la situation. Notre attention se tourna rapidement vers le dancefloor.
    
    – C’était sympa cette soirée, expira Chloé effondrée sur le profond canapé gris clair du salon en accord avec le mobilier épuré.
    
    On venait de rentrer à minuit passé, libérées de certains préjugés mais incapables de reconnaître à haute voix l’étroitesse d’esprit encouragée par trois années au lycée. Effet de l’alcool sans doute, on préférait en rire plutôt que remettre en cause une honnêteté intellectuelle douteuse à ce sujet.
    
    – En plus à deux pas de chez moi, j’y retournerai.
    
    Ma complice perplexe me dévisagea.
    
    – Seule ?
    
    Sa dernière déception amoureuse remontait à quatre mois, un lointain souvenir. La décision prise de faire un break, elle était passée du statut d’amie à celui de confidente. Nous partagions le même goût de la littérature anticonformiste, classique ou moderne, avec une nette attirance pour l’œuvre d’Aurane Verdier, auteur de la nouvelle vague aux idées tranchées, une Simone de Beauvoir du 21ème siècle. Sa version inédite du mythe des Amazones guerrières, sa résolution de les présenter en victimes du pouvoir abusif des hommes, bousculait les concepts affichés depuis l’aube de l’Antiquité.
    
    – Sauf si tu te décides à emménager avec moi, gloussai-je en lui tendant une cannette de vodka soda.
    
    La soudaineté de la proposition lui arracha un « Oh ! » de surprise. L’idée venait de me traverser l’esprit sans aucune réflexion ...
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