1. Théorème


    Datte: 02/07/2019, Catégories: h, Collègues / Travail volupté, cérébral, exercice, portrait, Auteur: Paxal, Source: Revebebe

    Il s’ennuyait. Et comme toujours au cours de ces interminables réunions, il se désolait de l’inopportune perte du temps à laquelle il se devait de contribuer si activement et si régulièrement depuis déjà trop longtemps. Il regardait l’orateur se trémousser devant des figures multicolores censées illustrer un propos important, propos que ce pitoyable zélateur développait dans une rhétorique pompeuse - moderne et post-moderne à la fois -, dans une terrible novlangue franglaise, ridicule et grotesque.
    
    L’importance supposée du propos était telle qu’aucun des éléments du discours n’était mis en valeur ou, plus exactement, que l’ensemble des éléments avait la même haute et brillante valeur. Cela rendait le propos plat, le discours niais, l’orateur crasseux : ce « dispositif de concertation », mis en place dernièrement et qui se voulait pourtant singulier, était totalement insignifiant et parfaitement inefficace. La mode avait eu raison de la pure logique… C’était la troisième réunion de la semaine, la plus difficile en fait, car personne dans la salle n’ignorait plus le sens de ces « meetings ». On ne se faisait plus d’illusions, mais on perdait tout de même son temps. On occupait, on rythmait nos vies de bien triste manière.
    
    L’orateur fit un geste théâtral en direction de l’écran.
    
    Il se délectait de cette sensation unique et toujours redécouverte, bien que familière. Le mouvement souple et ample, interminable et mesuré, lui procurait une indescriptible félicité. Le ...
    ... développement ordinaire de la caresse le conduirait fatalement - il le savait bien - au paroxysme d’une extase à travers laquelle une houle de sensualité s’échapperait par saccades mécaniques. Il goûtait chacun des gestes délicats qui se développaient généreusement sur la totalité de son corps extensible. Il s’enivrait irrésistiblement de ce rythme, volontairement indolent, qui se déployait - régulier - de la base au sommet, sur l’objet que son imagination était parvenue à façonner d’une manière si somptueuse. Il se retenait de précipiter les choses et laissait s’évader, à la cadence du mouvement, des murmures lourds de contentement. « Hm ! Le projet doit donc s’étendre selon un axe d’excellence,extending way, que nous mettrons en synergie positive… »
    
    Sa tasse de café était vide et il lui était impossible de se réfugier dans la gestuelle aujourd’hui si classique qui permet de feindre une quelconque attention à l’aide de cet objet banal, mais admis à siéger dans les réunions de travail. Il se reprocha, comme à chaque fois, de ne pas encore maîtriser l’« expertise d’une attention appliquée sur la tasse de café dans les réunions de progression ».
    
    Certains de ses collègues avaient acquis, au prix sans doute d’un prodigieux effort, une virtuosité parfaite dans l’art de cette feinte : ils étaient capables de siroter durant plusieurs heures les quelques centilitres de jus infect qu’ils avaient payés à prix d’or.
    
    « … l’excellence dans l’expertise que nous proposons… ». Il tapotait ...
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