Le dernier des Grizziera
Datte: 20/05/2019,
Auteur: HugoH, Source: Revebebe
... pays inconnus, des mots étranges virevoltaient en son corps. Devenait un réceptacle pur, dépouillé de toute espèce de jugement.
On l’avait porté. Des heures s’étaient écoulées avant que les secours n’arrivent. Il était trempé et transi de froid. Durant cette longue attente, ses yeux étaient restés plongés dans ceux de Léane. Il était sûr d’y lire quelque chose, si sûr que de temps à autre, il lui donnait une petite tape sur son bras, comme pour la réveiller.
Mais elle était morte et il ne pouvait faire d’autre mouvement. De la buée blanche sortait de sa bouche à lui. Ça le dérangeait. Maintenant, il était partagé entre la joie d’être toujours vivant et l’envie de la rejoindre. Toutefois, l’impression la plus prégnante, c’était ce recul étrange, cette fascinante distanciation qui le séparait de leurs deux corps, de la voiture retournée, des gyrophares noyés sous la pluie.
La nuit s’installa. Et avec elle Gabriel se décontracta, avalant au passage deux autres cachets pour faire passer la migraine qui marinait dans son jus. Puis il alluma une cigarette, la fuma du bout des lèvres. Il entretenait une liaison coupable avec le tabac, ne savait pas vraiment s’il en tirait du plaisir. Ça allait à l’encontre du reste de sa vie. Cette existence aseptisée, dégraissée au maximum des bactéries et des virus, bien que pas assez à son goût.
De l’hôpital, il n’avait le souvenir que des murs blancs, et d’un docteur un peu revêche qui était venu l’examiner pendant plusieurs ...
... jours. Il n’avait rien. Rien d’autre que quelques contusions, et une bronchite coriace. Il avait maigri, s’en rendait compte maintenant. Plus encore quand le médecin l’auscultait. Il avait un peu honte de ses côtes saillantes qui semblaient vouloir bondir hors de lui, agripper le cou du docteur. Il avait le cœur au bord des lèvres. Léane le crâne défoncé, Léane édentée, Léane la chair retournée. Il ne parvenait plus du tout à démêler le vrai du fantasme. Les choses s’aggravaient dans son esprit.
On lui donnait des calmants. C’est là qu’il y avait pris goût. Ou peut-être avant, pourquoi est-ce que tout ça était si flou, aujourd’hui encore ?
Un matin, levant les yeux vers ce désespérant plafond à la peinture écaillée, il croisa le regard de son grand-père. Ses yeux froids et gris le scrutaient durement, comme s’ils cherchaient à extirper un poisson du fond d’un lac.
— Mais, je ne suis pas un lac, avait-il murmuré.
Ça, il se rappelait bien l’avoir dit. Et le visage de son grand-père s’était peint un instant d’un pâle sourire. Puis il avait pris sa main.
— Cela ne doit plus arriver.
— Ça n’arrivera plus grand-père.
Mais il ignorait de quoi il parlait. De sa fuite ? C’est de ça dont il parlait ? Simplement de sa fuite ?
— Tu es le seul descendant, Gabriel, tu dois te reprendre. Il y a beaucoup à apprendre, beaucoup à décider. Tout sera bientôt à toi. Les hôtels, l’usine. Tout le reste.
— Elle est morte, gémit Gabriel.
— Nous réglerons ça.
Mais régler quoi ? ...